Nos lecteurs attentifs et fidèles le savent très bien : la question du degré est l’un de nos sujets favoris. Ce thème, à qui nous avions consacré un triptyque, revient très souvent sur notre tapis, par exemple à chaque fois qu’une distillerie peu habituée à proposer des rhums à plus de 48% (nous pensons qu’il y a une « frontière » aromatique au-dessus de ce seuil) le fait. Récemment, les rhums J.M ont sorti deux jeunes vieux sortis à plus de 57%, dont un proposé par le célèbre caviste parisien Christian de Montaguère. Ce même Christian a également proposé un Trois Rivières en brut de fût, sorti en fin d’année 2020. Avant cette sortie, la marque Trois Rivières avait mis sur le marché un 2006 cask strength, souvent considéré comme un des meilleurs Trois Rivières sorti récemment (et qui était également à un prix fabuleusement bas pendant longtemps), tandis que le caviste belge Hubert Corman a embouteillé une cuvée Bèlè fin 2018. Le point commun des ces trois cuvées ? Leur degré, puisque la version de Christian est à 55%, la Bèlè à 52% et la 2006 cask strength à 55,5%, alors qu’habituellement la marque au moulin propose plus des rhums autour des 43%. Même si la cuvée Bèlè n’est pas un brut de fût, il n’en reste pas moins que les 52% sont déjà suffisants pour apprécier une belle puissance aromatique. Mais, il est très important de le souligner, il ne faut pas oublier que des rhums bien réduits peuvent être extrêmement réussis (nous pensons ici aux deux Neisson de Noël 2020).
Voyons voir ce que proposent ce 2006 et le presque triple millésime de Christian (presque car, en Martinique, il faut que les trois composants d’une triple millésime soient des millésimes, donc qu’ils aient plus de six ans, ce qui n’est pas totalement le cas).
Trois Rivières 2006 cask strength
Degré : 55,5%
Intégration de l’alcool : Très bonne
Type de fût : chêne américain – neufs
Age : 8 ans (août 2006-août 2014)
Particularité : brut de fût
Fiche Rum Tasting Notes
Le boisé est dans un premier temps très présent, sur des notes de bois humide, limite vernis, qui peuvent déconcerter et le jus demandera beaucoup de temps pour s’ouvrir timidement. Mais, tout vient à point à qui sait attendre, et après de longues minutes le rhum s’ouvre enfin. Apparaissent donc des notes de tabac, des épices (gingembre, cannelle, poivre), une furtive salinité, pour finir sur un joli cacao un peu amère.
En bouche, le contraste est saisissant. Le boisé est bien évidemment présent, surtout en début de bouche, mais il est plus fondu. La bouche propose même une certaine fraicheur. On retrouve du fruit (avec une certaine acidité autour des agrumes confits – orange/citron) et des épices (dont la vanille). Un coté végétal est aussi présent avec une note de canne fraiche.
La fin de bouche est sûrement le point fort de ce rhum, avec une gourmandise inattendue sur le sucre roux nous emmenant vers une longue finale pleine de douceur autour de cette cassonade et du jus de canne.
Un agréable brut de fût, où l’alcool se fait discret, mais qui souffre d’un nez décevant. Il faut néanmoins le goûter, pour avoir une idée de ce que peut proposer Trois Rivières sans réduction, et pour sa finale réussie et gourmande. Dommage que le prix ait fortement augmenté depuis plusieurs mois.
Notre note : 84
Les caractéristiques du presque triple millésimes
Degré : 55%
Intégration alcoolique : Excellente
Type de fûts : Majoritairement ex-cognac
Millésimes : 2005-2014-2015
Particularité : brut de fût
Nombre de bouteilles : 700
Fiche Rum Tasting Notes
A l’ouverture, le nez est partagé entre une belle fraîcheur et un agréable boisé. Néanmoins, il lui faut de l’ouverture pour révéler son potentiel : les épices apparaissent alors très gourmandes (anis, vanille) et le tabac apporte son sérieux habituel. En fin de nez, de très belles notes de fruits font leur apparition, avec de la poire et de la pêche.
La bouche est intense, et s’ouvre sur le tabac et la noix, deux des arômes typiques des rhums vieux martiniquais. On retrouve ensuite des fruits jaunes, très doux, qui viennent apporter une touche gourmande, avant une fin de bouche très agréables sur les épices, le boisé et une belle note de cacao.
La finale est assez longue, sur un boisé un peu brulé et une note de café légèrement sucré.
Il faut toujours bien laisser les bruts de fût s’aérer, mais il est vraiment rare de voir un rhum autant profiter de l’aération. Nous l’avions gouté rapidement, et, bien qu’agréable, cela n’avait rien à voir avec la dégustation plus technique. Un grand coup de cœur, à moins de 100 euros… Bravo au duo Daniel Baudin-Christian de Montaguère.
Notre note : 90
Conclusion
Si le cask strength 2006 nous avait bien plu à l’époque, il est un ton en dessous des sélections des cavistes Hubert Corman et Christian de Montaguère. Re-goutée pour l’occasion, la cuvée Bèlè est en effet très réussie, moins originale que la sélection CDM, mais avec un profil sombre et gourmand qui fait mouche.
En tout cas, nous ne pouvons que valider les Trois Rivières embouteillés à plus de 50% !
Nous espérons, enfin, que la reprise de La Mauny-Trois Rivières par Campari, il y a un an maintenant, nous permettent de découvrir des rhums moins réduits venant du sud de la Martinique…
Dégustations faites avec Pierre
Le degrés est trés important pour les amateurs avertis mais la problématique c’est qu’il rebute trop souvent la grande majorité des acheteurs moins « averties » car ils considérent ces eaux-de-vie comme trop forte.
Dés qu’on sort un rhum à des degrés en dessus de 45%, à des amis non habitués, ils ont tous le même réflexe de recul dans un » à nos ça c’est trop fort pour moi ».
À l’inverse quand on ne dit rien et qu’on leur sert un verre, et même s’il y a une petite remarque sur le fait que c’est un peu fort, il l’apprécie.
C’est une simple question d’éducation.
On nous bassine les oreilles quotidiennement avec des normalisations de tout, pour tout et n’importe quoi, et donc on prend cette habitude.
Un étale de poissonnerie doit être sous glace, une viande comme ci, un légume comme ça sans défaut et d’une belle couleur, et dans cette optique pour tout le monde les spiritueux c’est 40/45°, en dessus c’est pour « nettoyer les WC »….
Alors qu’un légume pas beau plein de terre et 100x plus savoureux, un poisson acheté directement au pécheur au port, qui n’as pas été mis dans la glace et ceux même sous 35° à Saint-François (Guadeloupe) et incroyable, et y a pas que le rumsteck dans de un boeuf, mais l’araignée ou l’hampe son savoureuse.
C’est une simple question d’éducation, et malheureusement la plus part des maisons, si elles veulent écouler leur production, sont obligées de s’adapter.
Les normalisations tuent à petit feu les productions et la qualités de tous les produits.
Heureusement depuis quelques années et grâce à des pionnier(e)s comme Chantal Comte ou Lucas Gargano (bien d’autre mais on va pas faire la liste ici), on retrouve des vrais rhums avec des bruts de fut, ou presque, et on ajuste le degré du rhum pour trouver le juste accord sans porter attention au fait qu’il soit « commercialement convenable ».
Quelques maisons aussi ont fait ce pari, à voir ce que cela va donner.
Mais le revers de ces toutes petites productions restent leur prix, qui , la plus part du temps, les rends inaccessible aux amateurs, sauf ceux ayant des moyens importants (sans parler de la spéculation, mais autre lieu, autre débat).
Cela semble pourtant logique, l’eau pour réduire un rhum ne coute rien et augmente d’autant le volume de production, donc cela réduit le prix globale du rhum.
Mais il reste qu’au vu du sucées de ces petites productions certains abusent un peu sur le prix, dont, à mon sens, une belle marque Italienne …..
Il va falloir aussi trouver un équilibre à ce niveau, ce qui ne va pas être évident car l’appel du bénéfice sera toujours gagnant.
En tout cas ce Trois Rivière avec Christian de Montaguère est incroyable.
Va vite falloir en racheter une avant qu’il n’y en ai plus, car la bouteille se vide à une vitesse impressionnante.
Toujours au top vos articles 😉
Merci pour ton commentaire N’ours,
Tu as dit plein de choses très intéressantes, surtout sur l’uniformisation des choses qu’on mange et qu’on boit.
Pour les hauts degrés, ils font peur, c’est vrai, mais ils s’adressent à un public averti, donc ça ne gênera pas le consommateur plus occasionnel.
En tout cas, merci encore pour ton commentaire 🙂