Si il y a bien un métier qui fait rêver bon nombre d’amateurs de rhum, c’est celui de maitre de chai. Qui n’a jamais voulu, même rapidement, « devoir » goûter des fûts régulièrement, pour vérifier que le temps fait correctement son effet ?
En Martinique ils sont quelques uns à être relativement renommés, mais Daniel Baudin est très certainement le plus connu d’entre eux. Souvent récompensé, la dernière fois fin 2019 lors de l’International Rhum Conférence, il est dans le même temps très souvent cité par ses collègues (cf, entre autres, le live Confrérie de Marc Sassier, expert parmi les experts).
Daniel Baudin est enfin quelqu’un de fort sympathique, que nous avons eu la chance de rencontrer en Martinique et qui nous avait reçu avec beaucoup de gentillesse.
Il était donc logique d’ouvrir cette série consacrée au métier de maitre de chai par celui de La Mauny – Trois Rivières (sans oublier Duquesne). Nous le remercions d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Bonjour Daniel, pour commencer, peux-tu nous expliquer en quoi consiste le travail d’un maitre de chai au quotidien ?
Le maître de chai, entouré de son équipe, va tout d’abord réceptionner les rhums venant de la distillerie. Une fois que les rhums blancs sont arrivés au chai, il va les déguster pour pouvoir les dispatcher, en fonction de leur profil organoleptique. Il faut arriver à déceler les spécificités dès l’arrivée des rhums blancs, et imaginer leur évolution, plusieurs années plus tard. C’est également lui qui travaille au suivi du vieillissement, avec son équipe. Pour ce travail, il faut souvent acheter des fûts car, une fois que le rhum a été mis en fût, il va avoir en charge le suivi du vieillissement, et, selon l’évolution, changer de fûts si cela est nécessaire. Enfin, il s’occupe aussi de la chaîne d’embouteillage, pour pouvoir livrer les clients en temps et en heure, il faut également gérer tous les documents qui doivent être fournis au syndicat AOC pour l’accréditation des rhums de différentes catégories.
Comme vous pouvez le voir, les tâches sont diverses, et nombreuses.
Peux-tu nous parler des différences, pour toi au chai, entre La Mauny et Trois Rivières ?
La Mauny et Trois-Rivières, bien évidemment, sont des marques bien distinctes l’une de l’autre avec des profils différents, et complémentaires. Pour La Mauny, on va dire que le profil est plus marqué par la finesse (on pourrait même dire de la dentelle), avec une prédominance des notes confiturées tout en restant ancrées dans le terroir : un rhum aux notes de Cognac en quelques sortes. D’ailleurs nous travaillons beaucoup en ex-fûts de Cognac pour La Mauny.
Pour Trois Rivières, on retrouve un peu plus de corps (apporté par les typiques notes empyreumatiques), plus de caractère, tout en restant élégant et chic. Les chênes utilisés sont plus américains.
Il est très intéressant pour nous de travailler sur des produits si différents !
Comment arrive-t-on à gérer des chais aussi importants ?
Un maître de chai se doit connaître son chai parce que c’est lui qui met en place toute la structure. Il faut choisir les bois, choisir les chauffes, les contenants : il faut que le maitre de chai puisse choisir dans son chai comme un cuisinier dans son economat. Pour rester sur la même idée, comme pour un bon cuisinier, il doit savoir où aller chercher les différentes notes, où aller piocher l’élégance, la puissance, les notes empyreumatiques ou celles de café.
Bien évidemment, les rhums évoluent dans les fûts, et donc maître de chai se doit de goûter régulièrement ce qu’il a dans ses fûts. Le plus important est de bien comprendre ses produits, de savoir comment les choses évoluent et là il peut mieux cuisiner dans ses différents lots pour créer ses cuvées.
Peux-tu nous expliquer comment tu travailles les différentes cuvées « régulières » (VO-VSOP-XO) pour qu’elles gardent leurs constances au fil du temps ?
Comme je viens de le dire précédemment, il doit connaître son chai, il doit connaître les caractéristiques de chaque lot, de chaque fut. Mais après il faut être capable de faire en fonction de la demande. En fonction de ce qu’il souhaite faire il va pouvoir puiser dans chaque lot. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le plus gros du travail est de pouvoir assembler (et finement !) chaque lot, afin que le produit puisse répondre à la demande.
Lorsque le travail au préalable a été bien fait, on peut arriver à garder une même trame sur plusieurs cuvées, si c’est l’idée.
Tires-tu plus de fierté d’un single cask réussi ou d’un blend harmonieux ?
Les deux ! Bien sûr, lorsqu’on sort un très bon single cask, ça veut dire que le choix du fût a été bien fait, que le rhum mis dans ce fût a bien intégré le bois, qu’il a été suffisamment oxygénée (on pourrait aussi dire que le travail de transvasement a été opportun). Et cela veut aussi dire qu’on a arrêté le vieillissement au bon moment. Nous sommes donc contents de réussir de beaux singles casks.
Pour les assemblages, c’est différent : dans un blend on va retrouver différentes notes aromatiques en fonction des lots que l’on a choisis, et cet assemblage permettra au rhum de déployer toute son élégance. Parce que pour un assemblage, on peut travailler des lots qui ont un profil plus floral, d’autres lots plus fruités, d’autres plus tisane ou tabac. Il sera donc possible de retrouver toutes ces nuances dans la dégustation. Pour illustrer ce propos, nous sommes très contents du travail que nous avons faits sur la série des trois rivières de Trois Rivières (Oman, bois d’Inde et Saint Pierre) qui ont chacune leur particularité, ou encore sur la cuvée Extra Old de La Mauny.
Comme lorsque nous avons évoqué la complémentarité des deux maisons, ici aussi les deux facettes sont très intéressantes et complémentaires.
La mise en avant, au niveau communication, du travail sur les fûts (chauffe, maturation, type de chêne), permet-elle aux maitres de chais de plus innover ?
En effet, la mode actuelle met en avant les maîtres de chai qui font depuis très longtemps ce travail d’analyse, de recherche, de tests sur différentes chauffes, d’étude et de choix sur les moments des transvasements, des différents types de chênes, des différents grains (gros, moyen ou petit). Tout ça, c’est vraiment comme un cuisinier qui va choisir de mettre dans sa recette tel ou tel épice, et c’est finalement ça la patte du maitre de chai et qui permettra aux amateurs de reconnaitre et d’apprécier le travail qui a été fait patiemment auparavant.
Enfin, on commence à voir des sélections pointues, très bien accueillies, chez les IB (Chantal Comte, Corman Collins ou encore Excellence Rhum). Comment le prends-tu ? Et aura-t-on bientôt la même chose en OB ?
C’est une très bonne chose que notre travail plaise !
Sinon, je dirais que c’est à ça que servent les embouteilleurs indépendants : à proposer des rhums différents des gammes classiques.
Merci beaucoup à Daniel Baudin pour cette plongée dans le métier tant fantasmé de maitre de chai. On espère avoir d’autres Trois Rivières / La Mauny à plus de 50% dans les mois à venir !
C’est un super boulot que fait le maître chai car bien que je ne consomme pas trop l’alcool mais j’aime bien choisir un bon rhum blanc ou vieux pour mes desserts et cocktail sa change effectivement le goût. Bon courage à toi Daniel on a besoin de bon professionnel pour pour bien valoriser nos produits locaux 👍👌