Nous avons découvert les rhums de Tarrafal, de Monte Trigo au Cap Vert, au Rhumfest et ce fût une très belle découverte. Nous avons donc voulu en savoir plus sur cette nouvelle destination du rhum et nous en avons discuté avec Jean-Pierre Engelbach, le gérant et fondateur de la marque Musica e grogue.
Quelles sont les caractéristiques des rhums du Cap Vert ?
Les rhums du Cap vert sont très peu connus en France et dans le monde, car jusqu’à cette année, ils n’avaient jamais été exportés. Ainsi l’année 2018 aura vu pour la première fois ces rhums arriver en France, à l’initiative et sous la marque de Musica e Grogue.
Cet étonnant produit qui, dans la langue locale, le créole, s’appelle grogue, est un rhum pur jus de canne. Et ce qui caractérise particulièrement ce rhum, c’est sa très grande quantité de saveurs, de parfums et d’arômes ; une qualité qui trouve sans doute une part de son origine dans le caractère artisanal de sa fabrication.
La culture de la canne d’abord, implantée à flanc de coteaux sur les terrains montagneux des iles volcaniques, ne peut s’établir que sur de petites surfaces, souvent en terrasses, sans engrais chimiques, ni pesticides ; et sa récolte ne peut se faire qu’à la main. Ensuite, la canne devant être pressée moins de 48 h après sa coupe, chacune des récoltes ne peut fournir que de petites quantités de jus. Autre spécificité de la fabrication, la fermentation à l’air libre n’est faite qu’avec des levures naturelles et peut durer entre 8 et 12 jours ; cette lenteur explique sans doute la très grande qualité aromatique du grogue. Enfin, le jus fermenté est distillé dans des alambics pot-still qui récoltent, après le chauffage de la calda (vin de canne) et le refroidissement de l’alcool, près d’une vingtaine de litres en deux heures, voire plus si l’on veut obtenir un alcool plus titré.
Ce processus de production du grogue représente ainsi un coût important, incompressible pour notre marque qui souhaite entretenir avec les producteurs un commerce équitable. Les prix de revient de nos produits sont ainsi nettement plus élevés que ceux des rhums agricoles (également pur jus de canne) des DOM-TOM qui peuvent mécaniser les récoltes et bénéficier des distillations en colonnes avec des rendements industriels ; sans parler des taxes sur les alcools qui, dans ces territoires français, bénéficient d’un abattement de 50 %.
Votre rhum vient d’un petit village du Cap-Vert n’est-ce pas ?
Oui, tous nos produits sont issus du village de Tarrafal de Monte Trigo, sur l’île de Santo Antão. Pourquoi Tarrafal, me direz-vous ? Eh bien, parce que, au risque de vous surprendre, c’est pour une raison très subjective liée à la qualité du grogue qu’on y produit. Près de la totalité de l’alcool de canne du Cap Vert est fabriqué pour moitié sur deux îles ; celle de Santiago, au sud de l’archipel et celle de Santo Antão au nord ; avec une nette préférence de qualité à celui fabriqué sur cette dernière.
Et pour les rhums de Santo Antão, mes goûts personnels rejoignent ceux d’une majorité d’amateurs pour dire que celui de Tarrafal est le meilleur de l’île. Je ne développerai pas ici les raisons objectives de cette suprématie réservée à ce village de 450 habitants, surgi du désert de la partie ouest de l’île, car cette explication dépasserait de très loin le cadre de cet entretien. Tout au plus pourrai-je indiquer que le volume total du grogue distillé à Tarrafal à partir de sa récolte de l’année tourne autour des 20 000 litres.
Et notre marque, Musica e Grogue, s’est fixée comme objectif principal, lors de son lancement en 2017, de faire reconnaître le rhum de Tarrafal comme une appellation d’origine contrôlée qui devra contribuer au développement économique et social, – voire touristique – de ce terroir, par une reconnaissance nationale et internationale de ses produits.
Quelle est votre gamme ?
Lorsque j’ai découvert la richesse aromatique du grogue natural de Tarrafal, j’ai imaginé qu’il devrait être intéressant de faire vieillir ce rhum blanc dans des fûts de chêne. J’ai donc choisi d’importer de France huit barriques bordelaises ayant déjà contenu des vins de Gaillac et notamment du cépage de Brocol.
Ainsi nous avons commencé notre activité d’élevage sur place en remplissant plusieurs barriques. Et lors du premier transport maritime vers la France, nous avons rapporté 2 fûts contenant 450 litres de grogue, ayant vieilli plus de 13 mois. Le résultat de cette première année d’élevage m’a complètement convaincu ; on a commencé à découvrir l’apport de saveurs boisées qui révèlent de nouveaux arômes et ajoutent une rondeur épanouie au festival des saveurs du rhum blanc. Nous l’avons mis en bouteilles en France et avons commencé la commercialisation à partir d’octobre 2018, sous le nom de grogue velha. Depuis cette date, il recueille des premiers avis très favorables et laisse présager un résultat gustatif bien meilleur sur les années à venir.
Ainsi notre premier catalogue comprend une gamme de deux rhums.
Le grogue natural, rhum blanc de la récolte 2018 au TNA (taux non alcool) exceptionnel, où dominent des arômes de canne, de mangue, de banane, de réglisse, avec une pointe de vanille ainsi que des saveurs florales et salées. Teneur alcoolique : 44 % vol.
Et le grogue velha, issu de la récolte 2017, que je viens de présenter, d’une teneur alcoolique de 44 % vol.
Nous avons également souhaité inclure à notre premier catalogue trois punchs dont la fabrication, héritée d’une méthode ancestrale et traditionnelle, est assurée avec les fruits qui poussent au village au milieu des champs de canne : le tamarin, la mangue et le fruit de la passion. Ces punchs sont réalisés à partir d’un sirop de ces fruits cuits dans le sucre et dilués avec le grogue natural. Teneur alcoolique : 18 % vol.
Vous êtes associé à Guillaume Ferroni ?
Guillaume est un passionné de rhums et d’alcools et, depuis plusieurs années, il avait rencontré le grogue du Cap Vert. Passionné d’histoire, il avait notamment découvert à Santo Antão une marque très ancienne de cet alcool dont la famille avait commencé la fabrication dès 1504. Soit 200 ans avant la vénérable distillerie Mount Gay créée en 1703 à La Barbade et considérée jusqu’ici comme la plus vieille distillerie de rhum au monde ! Ce qui semblerait confirmer que les premiers rhums apparus sont plutôt originaires du Cap vert.
Avec Guillaume, nous avons fait connaissance à Tarrafal, dès 2014 ; et, à l’occasion de notre première importation en France, en 2018, je lui ai proposé de rapporter pour lui du grogue de Tarrafal. Un grogue qu’il commercialisera dès le mois d’avril 2019 sous la marque Vulcão.
Depuis, nos rhums sont stockés dans ses chais à Aubagne où il nous a permis de les mettre en bouteille. Vulcão et Música e Grogue ont également partagé un stand commun au Rhum Fest 2019 de Paris et, depuis le 15 avril, la distribution nationale de toute la gamme M&G a été confiée à la Maison Ferroni.
Quels sont vos projets ?
Vous savez, cela fait à peine 2 ans que je me suis lancé dans cette aventure avec Simão Evora, mon associé capverdien. Nous sommes tous les deux des amateurs, passionnés certes, mais sans aucune formation, ni compétence autre que notre amour du Cap Vert, de Tarrafal et de son grogue. Notre marque Música e Grogue est donc toute jeune et doit maintenant trouver sa place originale sur le marché français du rhum ; sans oublier que les quantités de nos produits seront toujours limitées et que nos gammes resteront à des prix relativement élevés. Et si nos premiers contacts avec les premiers cavistes français qui ont découvert nos produits sont très encourageants, il reste encore beaucoup à faire auprès des amateurs et des professionnels qui ne connaissent pas encore notre gamme.
Mais le principal défi maintenant consiste, en amont, dans l’amélioration de la qualité ; et nous souhaitons développer des produits hauts de gamme, par des recherches dans deux directions.
Au niveau de la fermentation et de la distillation, d’abord, en explorant la spécificité et la diversité des cannes locales et en améliorant les différentes étapes de la fabrication.
Au niveau du vieillissement, enfin, en poursuivant les techniques d’élevage, en développant sur place la durée du contact avec les bois et en expérimentant des fûts de chêne de diverses provenances.
Merci beaucoup à Jean-Pierre d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Dégustation
Par ailleurs, voici une petite note de dégustation sur le blanc à 44° proposé par Musica e Grogue, dont tous les rhums blancs sont mis au repos un mois dans un système rappelant les dames-jeanne.
Nez :
Très fin, sur la canne, bien sûr, mais aussi sur de jolies notes florales. Une pointe de fruit de la passion laisse présager une jolie bouche.
Bouche :
L’attaque est douce et gourmande, sur la canne toujours puis développement des arômes du nez avec les fleurs plus une pointe d’amertume rappelant le citron vert.
Conclusion :
Très belle première pour ce rhum issu d’une tradition ancestrale et qui m’a beaucoup plû. Il peut rappeler certaines expression des Clairins par son côté original, mais tout en ayant, selon nous, une plus grande gourmandise.
Concernant la version vieillie un an, elle est intéressante, mais a besoin de plus de repos pour développer pleinement son potentiel qui s’annonce important.