Pour revivre la première partie de nos aventures, c’est par ici !
Nous déclinons poliment un burger au rhum pendant la pause, mais reprenons néanmoins des forces et sommes fins prêts pour notre seconde ascension.
Assez satisfaits de la discipline dont nous avons fait preuve précédemment, nous nous accordons pour scinder notre deuxième mi-temps en poursuivant sur les vieux agricoles, avant de finir par les rhums de mélasse. Tradition oblige, direction Depaz, une distillerie qui a la cote dans le groupe aussi bien de par la qualité de ses produits que par son adhésion modérée à l’inflation ayant touché le marché ces dernières années.
Les vieux agricoles
Premier constat, la barbe de Benoit Bail a profité du confinement, et, côté produits, line up habituel avec les traditionnels VSOP, XO et autre réserve spéciale, mais nous nous tournons immédiatement vers les dernières éditions brut de fût, dont les versions précédentes nous avaient déjà ravis à plusieurs reprises. On note par ailleurs la belle initiative de la distillerie de mettre à disposition du public les deux fûts disponibles, et attaquons ainsi en confiance notre deuxième partie de salon.
Depaz brut de fût 2005 fût 502 – 58,2%, un nez très équilibré où les fruits exotiques se marient parfaitement avec un léger boisé, on retrouve en bouche une très belle expression du fruit (banane), la finale redevenant plus boisée avec une pointe réglissée très sympathique.
Depaz brut de fût 2005 fût 503 – 58,2%, on change de fût et de style ici. Le nez est également très intéressant mais le fruit laisse place à un boisé plus prononcé, joliment épicé, accompagné de tabac et de notes subtiles de chocolat noir. La bouche reste structurée sur le boisé, la cannelle est plus présente, pour une finale torréfiée (café) et astringente très agréable.
Deux styles différents, mais deux excellents produits qui se complètent à merveille.
Nous effectuons notre étape suivante chez une autre maison martiniquaise : St James. Plutôt convaincus par la version Single Cask 98 lors d’un précédent Rhum Fest, nous nous arrêtons ici sur le Brut de fût 2003 Confrérie du Rhum – 59%. Un nez étonnamment enchanteur avec évidemment des notes de bois et de tabac propres à la distillerie, mais également quelques fruits rouges très agréables. La bouche est moins complexe, avec un boisé très présent et épicé (poivre, muscade) pour une finale toujours épicée mais de longueur moyenne. On notera néanmoins le bon rapport qualité / prix du produit, étant sorti autour de 95€ ce qui est une sacrée performance actuellement pour un brut de fût de 16 ans.
En complément, nos impressions sont confirmées, les marqueurs St James en font des rhums plutôt réservés à la fin de dégustation, les notes boisées et torréfiées s’arrondissant sur un palais déjà échauffé.
Les stands sont étonnamment déserts, on voit que 80% de l’assemblée constitue une remarquable file d’attente en pointillés au stand Velier. La rumeur enfle, les Neisson en bouteilles noires sont apparemment de sortie… ceci explique cela. D’un côté ça nous arrange, l’accès aux autres stands en est grandement facilité, nous tenterons peut-être notre chance plus tard…
On reste en Martinique et nous retournons chez Neisson, qui présente une gamme assez classique que nous parcourons de manière logique.
On attaque par le Profil 105 – 54,2%, un nez de prime abord plutôt sec et épicé (poivre) qui devient rapidement étonnamment gourmand sur de vraies notes pâtissières, l’attaque est fraiche et franche, sur une canne à sucre végétale assortie de fruits à coques, le tout sur un boisé léger. Un rhum agréable d’une étonnant complexité pour son âge.
On poursuit avec le XO par Neisson – 48,5%, assemblage de rhums vieux de 9 à 12 ans dépassant donc légèrement la nomenclature habituelle des XO. Un retour fracassant du bois au nez avec quelques notes de noix, une bouche toujours très tannique et épicée qui laisse néanmoins un peu de place aux fruits à coques et à une belle gousse de vanille, le tout donnant une longueur très respectable pour un XO. Du beau travail.
Nous terminons notre escapade au Carbet par le XO par Neisson Full Proof – 50,8%. Le grand frère présente un nez moins tannique, le bois est évidemment présent mais on y retrouve également les agrumes et une jolie coco en sommeil, ça promet ! L’attaque est vive et d’une certaine fraicheur, le boisé Neisson est bien évidemment présent mais il est plus subtil que précédemment, la canne refait surface et on retrouve les marqueurs du nez avec en prime de belles notes vanillées et une coco qui se lâche pour une très belle finale. L’ainé a de beaux jours devant lui, il reste de loin le patron.
Patron de la gamme classique peut-être, mais c’est au moment où nous allons changer de stand qu’Alex nous fait un petit signe discret, et sort une bouteille du 2005 pour Velier – 51,3% de derrière les fagots. Ravis de pouvoir le goûter, nous avons pu apprécier son premier nez sur un très beau boisé et la noix, qui évolue ensuite sur une petite pointe florale, et enfin le végétal de la canne. En bouche, les épices (muscade) accompagnent un boisé gourmand. La longueur est très agréable sur un boisé bien maitrisé, de la réglisse et une belle note de café. Un magnifique rhum, qui permet une nouvelle fois d’admirer la maitrise du boisé chez Neisson.
Le lobby martiniquais étant assez influent chez Préférence Rhum, nous restons sur l’île aux fleurs et nous dirigeons vers l’Habitation Saint Etienne. Le stand est comme tous les ans très bien achalandé et coloré avec l’ensemble des finitions disponibles à la dégustation, dont les derniers finishs whisky, que nous n’avons pas pu goûter : ils ont été victimes de leur succès.
Néanmoins, la devise habituelle du groupe est exprimée avec tant de conviction (« La meilleure des finitions chez HSE, c’est pas de finition »), que nous optons pour la dernière version d’un rhum dont nous avons beaucoup apprécié les mises en bouteilles précédentes, le HSE Single Cask 2003 MEB Juillet 2019 – 47,8%. Le nez est fin sur un joli boisé discret, les notes de tabac sont du même acabit, le tout accompagnée par une pointe fruitée très agréable. La bouche réplique ces mêmes arômes, le tout donnant un ensemble équilibré et très bien fondu. Légère déception sur la finale si l’on compare aux versions précédentes, nous la jugeons un poil trop courte, même si nous apprécions ses belles notes de tabac toujours aussi présentes.
Nous remettons le pied en Guadeloupe, et nous retournons sur l’île aux cent moulins, chez Bielle plus précisément. La dernière version de leur traditionnel brut de fût de 7 ans est disponible à la dégustation et attire donc notre attention, surtout quand nous apprenons qu’il a été vieilli en fut ex-bourbon et en fut de vin blanc moelleux prestigieux :
Bielle Brut de Fût 2012 – 54,6%, un nez gourmand où la vanille et le bois s’entremêlent et mènent le bal, soutenus par les épices et quelques fruits exotiques. La bouche nous rappelle au terroir : la canne est de prime abord végétale et épicée, puis revient cette fois gorgée de sucre pour une finale joliment fruitée, peut-être légèrement courte si on la compare à ses illustres aïeux 2003 et 2007 notamment. On reste néanmoins dans un rhum de grande qualité, et accessible à la plupart des portefeuilles…
Ayant déjà sympathisé avec le personnel du stand lors de notre épisode blanc, nous avons l’honneur de voir surgir de sous le stand une bouteille de Single Cask 2001 – fût 98 – 55,3%. Nous sommes évidemment ravis et nous nous attaquons à ce monstre. L’acajou annonce la couleur, le nez est chaud et complexe sur un bouquet d’épices tenant compagnie aux fruits exotiques et au bois noble, en bouche les fruits deviennent rouges, le bois est petit à petit suppléé par le tabac et la vanille pour une longueur superbe et l’apparition d’une réglisse sublime clôt le bal d’une expérience absolument fantastique. Le silence qui s’ensuit est lourd de sens, nous venons de vivre un grand moment.
On achève ainsi notre chapitre des vieux agricoles sur une note merveilleuse.
Les vieux de mélasse
Remis de nos émotions, nous attaquons le sourire aux lèvres la fin de la partie en nous focalisant cette fois sur les rhums de mélasse.
On commence en douceur avec un petit nouveau, le Rivière du Mat – 45% de la Maison du Rhum, disponible sur le stand de la gamme d’embouteillage du distributeur Dugas. Le nez est superbement fruité – il rappelle celui de certains New Grove (la patte Christian Vergier ?) – et gourmand, la bouche est douce et vanillée pour une finale caramélisée et fruitée à nouveau. Un beau produit d’entrée dans l’univers du rhum.
Qui dit mélasse dit évidemment Demerara, ces rhums devenus légendaires de par leur rareté (et leur prix donc) dans leur version Velier, désormais remis à disposition du public par l’embouteilleur officiel Demerara Distillers Limited.
Si l’année dernière nous avions su négocier le joli Albion 2004 caché sous le comptoir, cette année les bouteilles colorées siglées « Blended in the Barrel » sont disponibles pour les amateurs, et ils ne sont très pas nombreux. Décriée par les blogueurs et les réseaux mais adoubée par Luca Gargano himself, c’est l’occasion de nous faire notre propre avis sur cette série.
Autant l’équipe préférence-rhum a jusqu’alors fait preuve d’un dévouement à toute épreuve, autant ici nous sommes obligés d’improviser un shifumi pour désigner l’heureux élu en charge des quatre dégustations à venir, preuve de notre scepticisme à l’égard de cette nouvelle collection.
En synthèse, les nez sont extrêmement proches sur l’ensemble des versions. On y retrouve des fruits compotés, un boisé et des notes torréfiées assez prononcées. En bouche, voici le résultat des courses, du moins au plus réussi :
El Dorado Diamond & Port Mourant 2010 – 49,1%, un caramel brulé omniprésent écrase l’ensemble des arômes, on décèle quelques survivants chez les fruits compotés et un léger côté médicinal mais rien de bien intéressant dans cette première version, nos préjugés sont malheureusement confirmés.
El Dorado Port Mourant Uitvlugt Diamond 2010 – 49,6%, le nez est peut-être un poil plus complexe mais l’ensemble se résume une nouvelle fois en un caramel brûlé, collant et invasif, rien de bien folichon donc.
El Dorado Uitvlugt Enmore 2008 – 47,4%,probablement le nez le plus abouti où les fruits exotiques, la coco et les épices arrivent à s’exprimer correctement une fois le premier voile alcooleux passé. On retrouve les mêmes notes en bouche mais malheureusement quelque peu massacrées par une réduction trop importante donnant à l’ensemble un côté aqueux plutôt déplaisant.
El Dorado Port Mourant Uitvlugt 2010 – 51%, un poil plus concentré et complexe en bouche sur le bois, les fruits confits et les fruits noirs, le caramel est ici moins brûlé et exprime un plus grand potentiel, plus conforme à l’idée que l’on se fait des produits de la distillerie. Le vainqueur de ce quarté donc, sachant que l’on est clairement plus proche d’une nocturne du mardi soir que du Prix d’Amérique ici.
Connaissant l’appétence de notre triste gagnant pour les rhums Jamaïcains et désireux de lui remonter le moral, nous poursuivons notre périple dans cette direction et sentons que son calvaire est vite oublié.
Un premier arrêt nous donne l’occasion de tester le Monymusk 2010 – MBS 62%. Le nez s’ouvre sur les solvants, la coco et la poudre d’amandes, secondés par les fruits (abricots, mangue). La bouche est mouvante après une attaque vive. On y retrouve les fruits du nez auxquels se joignent les fruits à coque (noix), le sucre cuit, et quelques note médicinales pour une finale fruitée et torréfiée (cacao amer). Un bon produit avec un alcool néanmoins un poil trop présent, une légère réduction supplémentaire aurait pu le rendre encore plus intéressant.
Nous nous tournons ensuite vers l’une des jeunes stars de l’île, à savoir le Hampden Great House – 59%, blend 80% WOH 20% DOK comme nous l’explique bien notre spécialiste des esters. Un nez très facile d’accès sur les fruits tropicaux, quelques notes d’olives et la coco, beaucoup de chaleur et de gourmandise s’expriment ici. La bouche est dans la même lignée, les notes pâtissières sont toujours présentes et la vanille s’incruste définitivement sur une finale de longueur moyenne. Un produit agréable qui plaira probablement à beaucoup de monde, l’intégration de l’alcool restant un poil perfectible si l’on veut pinailler.
La fin du salon approche, nos palais sont satisfaits mais un poil fatigués, nous décidons donc de rendre visite à une maison très respectable avant de tirer notre révérence.
Direction Old Brothers donc, embouteilleur indépendant for sympathique, à l’origine notamment de quelques blancs magnifiques (ces Bielle !!), et de produits à la fois intéressants et surprenants comme ce Fiji présenté l’an dernier et qui avait conquis notre petite assemblée. Premier constat, les flacons sont de toute beauté. Un design noir moderne et épuré, une belle réussite. Plusieurs références nous séduisent – il en faut de peu pour que nous fassions une entorse au plan de jeu en retournant sur du Bielle – mais nous restons sur notre lancée jamaïcaine et optons pour le Old Brothers LPCH – 47,1%, blend des distilleries Long Pond, Clarendon et Hampden comme l’indique son acronyme. Un nez très sympathique et gourmand s’offre à nous, sur les fruits mûrs et quelques touches d’agrumes, l’olive rappelant la présence de grand arôme en arrière-plan. La bouche reprend ce joli triptyque, avec une vraie typicité jamaïcaine – l’acidité restant néanmoins mesurée – et quelques belles notes fumées en fin de finale. Un très bel assemblage et une réduction particulièrement réussie (c’est assez rare pour être souligné).
Le gong retentit, nous sommes gentiment priés de débarrasser les lieux afin de permettre leur désinfection… nous avons probablement une dernière chance avant un rappel à l’ordre plus ferme. Nous nous pressons donc sur le premier stand à notre portée, à savoir celui de l’embouteilleur indépendant Wild Parrot, réputé pour la qualité à la fois de ses visuels et de ses produits.
Nous n’avons que peu de temps pour débattre, et nous faisons d’une pierre deux coups en optant pour le Wild Parrot Savanna Grand arôme 2007 – 63,9%, cette distillerie réunionnaise nous inspirant par ailleurs le plus grand respect. Dommage que nous soyons pris par le temps, nous sommes ici en présence d’un nez complexe et somptueux. D’abord épicé, puis gourmand sur des notes de bonbon arlequin, les solvants vont et viennent, de belles notes pâtissières s’incrustent dans ce joyeux foutoir, on y retrouve même une légère touche animale (cuir). L’attaque est franche et fraîche, nous rappelant que l’animal n’est pas si simple à apprivoiser. Nous percevons une note fugace chimique (il y a un peu de Herr qui se planque probablement), l’ensemble est légèrement acide et évolue sur le tabac blond et les fruits à coque. La finale est longue et sauvage, l’olive fait son retour, et accompagne joliment le caramel brûlé et la réglisse. Un rhum qui n’a pas fini d’occuper vos réflexions de dégustation tant il est riche et complexe, que vous pourrez passer de longues minutes à humer sans vous lasser.
C’est sur cette belle dégustation que s’achève notre Rhum Fest 2020. Une édition une nouvelle fois très qualitative, avec deux enseignements majeurs : d’un côté la qualité des rhums blancs proposés ne cesse de croître et, de l’autre, nous sommes définitivement passé du côté des rhums de dégustation chez beaucoup de distilleries pour notre plus grand plaisir. Même si certaines, on pense à DDL, ont manqué le coche avec les sorties présentées…
Vous vous demandez également probablement ce qu’il s’est finalement passé chez Velier ? Après quelques rapides investigations, il semblerait que les Neisson n’aient finalement pas été ouverts à la dégustation, mais que Luca Gargano ait partagé les photos d’un de ses derniers voyages, laissant entendre qu’il pourrait y avoir trouvé son rhum de demain. Un rhum est-africain en bouteille noire? A suivre de près…
Ainsi s’achève notre Rhumfest d’avril 2020, en espérant que la date de juillet 2020 sera maintenue, même si nous craignions que notre seul Rhum Fest de l’année soit virtuel…