Le cerveau humain est câblé pour faire des raccourcis. Les informations sont mises dans des cases afin d’accéder rapidement à l’information. Souvent, mais pas tout le temps, ces raccourcis sont également réducteurs, afin de simplifier les choses. Et, dans le petit monde du rhum, parmi les raccourcis les plus fréquents, on trouve souvent les classiques : « la mélasse c’est pas bien » ou, mais cela revient au même, « la mélasse c’est sucré » ou encore, et c’est la conséquence du reste « les rons sont tous sucrés et pour les débutants »… Même si il faut admettre que c’est souvent le cas, il faut éviter de toujours tout réduire et tout simplifier. Il faut être attentif, mais ouvert sur toutes les origines.
La dégustation du jour portera sur des rons (rhum de mélasse de tradition espagnole), proposé par des embouteilleurs indépendants, non sucrés, et en brut de fût. Ces rhums ne sont pas du tout dans nos habitudes, et nous ne savons pas trop à quoi nous attendre.
Au niveau des rhums dégustés, nous avons un des embouteillages évoqués dans notre guide des embouteilleurs indépendants : le Venezuela brut de fût de la Compagnie des Indes. Cet embouteilleur historique français est un peu en difficulté en ce moment, avec une gamme très vaste (qui va des blends pas très chers aux Caroni les plus pointus en passant par des expérimentations comme les différents Boulets de canon) qui peut dérouter les amateurs. Enfin, il n’y a pas eu de sélection très marquante, pour les experts, depuis quelques temps. Mais nul doute que Florent Beuchet va vite remonter la pente. Pour la deuxième sélection, on part au Nicaragua avec Morgan Ricci. Cette sélection a été faite pour le Rhum Society du 1802 de juin 2021, comme cinq autres bouteilles : un Foursquare, un Clarendon et les blends des trois origines. L’idée était de proposer des rhums d’une seule origine et ensuite le meilleur des mondes avec ce qui était le cœur de métier de Morgan, l’assemblage. Nous avons eu la chance de goûter les versions non blendées au 1802, grâce à l’invitation de Yann des Compagnons du Rhum, et c’était ce Nicaragua qui sortait le plus du lot, par son originalité et sa complexité ; voyons voir si cela se confirme à domicile. Enfin, on part en Belgique, avec l’embouteilleur Rasta Morris, qui nous propose deux origines déjà lues : un Nicaragua et un Venezuela. Du côté de Bert Bruyneel, le patron de Rasta Morris, on sélectionne pas mal de spiritueux différents en ce moment, après avoir proposé, dernièrement, de nombreux Bielle.
Nous avons donc deux Venezuela et deux Nicaragua. Voyons voir ce que nous réservent ces dégustations… Allons-nous avoir des rhums trop accessibles ou pas (bouh le raccourci !) ?
Le Nicaragua par Ricci pour le 1802
Degré : 62%
Intégration de l’alcool : Excellente
Age : 17 ans
Distillerie : Compania licorera de Nicaragua – Flor de Cana
Distillation : Colonne
Nombre de cols : 200
Particularités : brut de fût et fût unique
Fiche Rum-X
Au nez, c’est assez gourmand, sur des notes de caramel mou, type toffee, un peu de noix, de café et de la vanille. Dis comme ça, ça ne fait pas forcément rêver, mais l’ensemble est vraiment sympathique.
En bouche, on retrouve la vanille et d’autres épices douces (cannelle principalement), une pointe de café et un boisé assez asséchant, qui dynamise la bouche.
La finale est assez courte mais agréable sur la vanille et le caramel.
Très belle découverte que ce Nicaragua ! Goûté à l’aveugle au 1802, il reste très convaincant en dégustation classique. Nous ne sommes pas du tout fan des arômes trop doux, ou de pâtisseries, mais on est ici face à un rhum qui allie correctement la douceur et la torréfaction (et le boisé en bouche).
Notre note : 88
Le Nicaragua par Rasta Morris
Degré : 64,4%
Intégration de l’alcool : Excellente
Age : 11 ans
Distillerie : Compania licorera de Nicaragua – Flor de Cana
Distillation : Colonne
Particularités : brut de fût et single cask
Fiche Rum-X / Wikirum
Le premier nez est moins gourmand que celui du Ricci, avec du cacao, de la cannelle et une note de café assez légère. Le caramel arrive ensuite, on a eu peur, accompagné d’une pointe de fruits secs (abricots) et d’un peu de café un peu plus serré. Belle complexité de ce Nicaragua au nez.
En bouche, c’est assez gourmand dans un premier temps, avec de l’ananas qui ouvre le bal, avant une suite un peu plus corsée : muscade, noix et boisé. On retrouve un peu le même type de profil que sur le Ricci, avec toujours ce mélange de notes gourmandes et d’autres plus « sombres ».
La finale est moyennement longue, sur la noix et le caramel.
Encore un beau Nicaragua, avec un alcool fort bien intégré. On est dans la même veine que le Ricci, avec la même réussite.
Notre note : 87
Le Venezuela par la Compagnie des Indes
Degré : 58%
Intégration de l’alcool : Excellente
Age : 12 ans
Distillerie : CADC – distillerie sans marque
Distillation : Colonne
Nombre de cols : 252
Particularité : brut de fût et fût unique
Fiche Rum-X / Wikirum
Le premier nez est doux, miellé, avec du praliné, de la noix un peu grillée et un peu de bois. C’est sympathique, mais cela manque un peu de complexité, heureusement l’alcool aide à tenir le tout.
L’attaque en bouche est également miellée, avec même des petites notes florales. Le boisé aperçu au nez revient, avec un petit côté brûlé. Le caramel cuit et le poivre ferment la marche. Cette bouche est plus intéressante.
La finale est assez longue et agréable, avec de la noix et des épices.
Intéressant de découvrir un ron vénézuélien qui en a dans le ventre ! Belle sélection de la CDI, même si nous avons préféré le côté un peu torréfié des rhums du Nicaragua.
Notre note : 79
Le Venezuela par Rasta Morris
Degré : 63,1%
Intégration de l’alcool : Excellente
Age : 11 ans
Distillerie : CADC – distillerie sans marque
Distillation : Colonne
Nombre de cols : 260
Particularité : brut de fût et fût unique
Fiche Rum-X / Wikirum
5% de plus que sur l’embouteillage CDI, mais toujours pas beaucoup d’alcool au nez. On retrouve ce praliné déjà croisé, qui s’accompagne d’une pointe de vanille. L’évolution est intéressante, car, avec de l’ouverture, on arrive sur des notes plus végétales, avec de la menthe et du tabac par exemple, et sur une note assez marquée de cannelle. Belle évolution du nez.
En bouche, l’ouverture est douce, presque trop, avec un combo de mélasse et de caramel, qui aurait pu être inquiétant. Mais rapidement, un nuage d’épices (poivre -rouge- et cannelle) et de bois vient densifier cette gourmandise. On observe à nouveau une agréable évolution.
La finale suit la fin de bouche avec des épices (vanille et cannelle) et du boisé.
Un rhum surprenant par ses évolutions marquées entre le début et la fin, aussi bien du nez que de la bouche. Un rhum bien sélectionné.
Notre note : 82
Conclusion
Eh bien, cette dégustation a eu le mérite d’être très intéressante !
Très belle découverte que ces Nicaragua, particulièrement en brut de fût, qui ont comme seul défaut de rajouter une nouvelle destination sympathique sur la carte des origines suivies… Après les Chairmans et les TDL, cette dégustation nous prouve, si besoin est, que le monde du rhum est d’une richesse absolument incroyable, et qu’il serait bête de s’arrêter sur une origine ou un seul type de rhum.