Plantation est l’un des acteurs majeurs du monde du rhum. Elle dispose d’une gamme de rhum très vaste, qui va de la grande distribution à la série des Extrêmes (la plus haut de gamme), en passant par des single casks ou des séries pour les bars. Et pourtant, nous n’avons pas souvent évoqué les rhums Plantation : hormis les Extrêmes, le reste de la gamme nous attire assez peu, tout du moins sur le papier. En effet, les rhums sont souvent sucrés (plus ou moins), et proposent des finishs originaux, alors que nous avons fait nos armes avec les rhums agricoles martiniquais AOC.
Il était temps donc de corriger cette lacune et c’est à l’occasion d’un séjour dans le Cognaçais, entre deux confinements, que la maison Ferrand nous a ouvert les portes du Château de Bonbonnet et de ses chais. L’occasion d’aborder des thèmes qui nous sont chers, notamment autour du vieillissement et de ses techniques, comme nous l’avons fait avec de nombreux maitres de chai.
Première impression, le lieu est magnifique entre les vignes et les champs de genévrier servant à la production du Gin Citadelle qui entoure le château. Une aile du château est d’ailleurs en chantier afin d’accueillir une toute nouvelle distillerie dédiée à ce gin.
Deuxième impression, nous sommes marqués par l’ambiance familiale du lieu et l’accueil est à l’opposé de l’image que nous avions. La visite initialement prévue se transformera en masterclass de 4h30 avec Alexandre Gabriel… Le tout avec un tour du monde des dégustations, directement dans les chais.
On vous emmène donc avec nous à la découverte des secrets de la maison !
L’Art du vieillissement
Après un court trajet depuis le château de Bonbonnet, nous voilà dans les chais, là où tout se passe. La glace se brise facilement autour d’un merveilleux Sainte Lucie « John Dore » 2010 (quelle entame !), un rhum qui propose une attaque toute en douceur, presque miellée, un fruité explosif et un boisé très fin : un rhum que nous attendons déjà avec impatience. La discussion, qui partait sur les spécificités techniques de ce type d’alambic, revient sur le vieillissement, qu’on appelle ici élevage : « Si on élève son enfant à coup de fouet on n’aura pas un adulte équilibré, alors que si on l’élève avec amour… ». Voilà, le décor est rapidement posé.
La double maturation est la véritable signature de la marque. En effet, on parle de double vieillissement à plus d’un titre puisqu’il s’agit à la fois d’un double vieillissement entre des fûts bourbon et de cognac (rappelons ici que le passage en fût de Cognac Ferrand est la signature de la maison) mais aussi au niveau de l’environnement. Chez Plantation, il n’y a pas d’opposition entre vieillissement tropical et continental, mais une volonté de tirer le meilleur des deux mondes. Le vieillissement tropical qui apporte de la concentration, grâce à une part des anges importante, et donc de la structure, et un vieillissement continental où les variations de températures plus importantes vont permettre une meilleure intégration des tannins.
Autour d’un Panama 1992 d’une grande finesse (mais qu’il est difficile de passer après ce Sainte Lucie !),l’échange porte sur l’apport des techniques héritées du Cognac dans l’élevage du rhum chez Plantation. Si le temps et la patience sont toujours de rigueur, de nombreuses techniques sont utilisées pour amener le jus vers le profil souhaité, car, dès la sélection, le maitre de Chai nous dit avoir une idée précise du profil qui va être recherché in fine.
Première chose à noter, les fûts sont constamment redouellés : lorsqu’on veut accentuer les tannins, on va remplacer une ou plusieurs douelles par des douelles en chêne neuf, pour apporter la touche boisée souhaitée. Et, effectivement, on remarque rapidement des fûts qui ont une ou deux douelles neuves, ou même un fond de fût tout neuf. Plantation dispose également de plusieurs chais, plus ou moins humide, pour contrôler le vieillissement : « Un rhum élevé dans un chaihumide perdra plus rapidement du degré alcoolique et deviendra progressivement plus souple et plus moelleux alors que dans un chaisec, le rhum développera des notes plus épicées et plus florales ». D’autres techniques d’élevage seront présentées telles que le travail sur les chauffes de fût ou encore l’utilisation d’essence de bois tropicaux, tel ces fûts d’Amburana (bois d’Amérique du Sud, et notamment brésilien, utilisé traditionnellement pour le vieillissement de la Cachaça) qui apportent de la typicité, de l’intensité voir même un certain déséquilibre au nez du Guatemala qui y repose.
Nous continuons notre tour du monde des terroirs du rhum avec deux Long Pond, un ITP 1996 et un 2015. Ce dernier comptabilise un taux d’esters à 1500 et 1600gr/hlp (le maximum autorisé à l’exportation depuis la Jamaïque) et repose dans un fût roux, « fut ayant déjà contenu plusieurs jeunes eaux-de-vie et ne cédant plus de composés extractibles mais permettant la poursuite du vieillissement (évaporation, oxydation) », selon le Bureau National Interprofessionnel du Cognac. Amateur d’high esters, nous apprécions particulièrement, mais peu de chances de voir ce type de produit sortir en l’état : il s’agit, selon la tradition jamaïcaine – et les habitudes de la maison – de rhums faits pour donner du dynamisme aux assemblages.
La tentation est forte de se diriger vers le chai où reposent les futures single cask 2021, mais Alexandre Gabriel nous propose de découvrir, dans un chai annexe, une expérimentation sur la création et l’élevage d’un rhum de type Navy avec une technique toute particulière, issue des recherches de David Wondrich (universitaire à Oxford et historien des spiritueux) et de Matt Pietreck.
« Si ça a été fait pendant au moins 300 ans…
… c’est que ça mérite d’être essayé » cette phrase, prononcée par notre hôte, résume la philosophie de la maison. En effet, le rapport à l’histoire du rhum est très présent pour Plantation. Cela prend tout son sens lorsque nous découvrons, dans ce second chai particulièrement humide, d’immenses foudres sans couvercle, où repose au contact de l’air un blend Jamaïque / Barbade / Guyana. Les deux immenses fûts sont placés l’un au-dessus de l’autre, et le rhum circule lentement d’un foudre à l’autre par un système de pompe et de gravité. Avec l’humidité, et le contact permanent à l’air, la part des anges est importante. Cela donne un Navy intéressant, aux arômes complètement fondus, avec une petite oxydation que l’on retrouve parfois sur les très vieux embouteillages. Là encore, difficile de dire si cela se concrétisera par un embouteillage mais on espère pouvoir y re-goûter et le comparer aux autres Navy du marché.
Il s’agit là d’un exemple parmi tant d’autres du travail de recherche effectué par des experts tel que Dave Wondrich, mais aussi ceux présents à la Barbade (qui travaillent sur les archives de WIRD ou encore sur les levures). En effet, avec le rachat de West Indies, Alexandre Gabriel s’est offert un pan de l’histoire du rhum dans les Caraïbes (en plus d’alambics mythiques, avec un Vulcain unique au monde) dont une salle pleine d’archives dont certaines datent à la fin du 19° siècle. C’est ici qu’ont été découvertes, par exemple, les recettes de fermentation à l’eau de mer.
Où commence et où s’arrête la (fameuse) tradition ?
Cette question est centrale pour Alexandre Gabriel, et dans le débat sur les IG, notamment celle de la Barbade. Ce dernier plaide pour une vision inclusive des normes qui permettraient « d’expérimenter différentes techniques, levures, essences de bois, le tout dans le respect de la canne ». A contrario, une vision plus restrictive permet de figer un style afin de donner des repères aux consommateurs, comme on le voit avec l’AOC Rhum Martinique, au risque d’uniformiser la production. Mais toute la question repose sur le choix des méthodes que l’on fige, et de leur rapport à l’histoire d’un lieu.
Pour en revenir à l’IG Barbade, l’un des points d’achoppement est la question de l’édulcoration, appelé dosage chez Plantation… Il suffit de reprendre la liste de nos dégustations pour se rendre compte que nous n’apprécions pas les rhums sucrés. Néanmoins, tout le monde n’a pas la même consommation que nous.
Ici le dosage est considéré comme une technique d’élevage, comme une manière d’amener le rhum au profil souhaité. Pour Alexandre Gabriel, Il ne s’agit pas de verser des sacs de caramels dans les fûts, mais d’utiliser « des sucres et des mélasses indigènes, vieillies en fût, et de les assembler progressivement avec le rhum lors du vieillissement ». Chez Plantation, on considère le dosage comme une manière d’ajuster le jus vers le profil souhaité, un peu comme « la fleur de sel que va ajouter le cuisinier pour peaufiner sa recette ».
Reconnaissons toutefois que l’édulcoration est toujours inscrite sur les bouteilles et cela permet à chacun de consommer ce qu’il apprécie en toute connaissance de cause.
Un autre point d’achoppement majeur est la question du lieu d’embouteillage et derrière cela la question de l’empreinte carbone du marché du rhum, produit au bout du monde à l’heure des circuits courts et de la transition écologique.
Vers du rhum éco-responsable ?
Un des arguments pour refuser l’obligation d’embouteiller le rhum sur le lieu de production est écologique : faire venir des bouteilles vides dans les Caraïbes pour ensuite les réexpédier pleine vers l’Europe est effectivement loin d’être neutre. D’autant que cela représente également des enjeux économiques importants et interdirait, de facto, le double vieillissement tropical/continental (dans le cadre de l’IG). L’argument écologique pourrait donc paraître opportuniste face aux enjeux énoncés, mais des actions concrètes sont menées sur les différents sites : retraitement des vinasses pour produire du Biogaz dans le cognaçais avec pour projet de transposer cela dans les Caraïbes, récupération des eaux du système de refroidissement pour chauffer les serres d’agrume de manière autonome chez Citadelle ou encore la récente mise en place de panneaux solaire chez Wird et la Volonté d’y être neutre en carbone en 2030.
Il reste encore du chemin à parcourir pour rendre l’industrie du rhum vertueuse mais les initiatives sont nombreuses comme l’atteste le développement du bio en général ou des modes de transport neutre comme le voilier.
Les projets
Le vieillissement dynamique est un des projets de Plantation avec l’ouverture prochaine de la Barge 166, péniche qui sera autonome en énergie et qui abritera jusqu’à 1500 fûts de 30 litres. Le but ici pour la marque est, entre autres, d’expérimenter le vieillissement bercé par le roulis. Selon nos informations, il y aura différents fûts, qui sont actuellement en préparation, tandis que Plantation proposera plusieurs rhums différents. L’innovation réside sur le fait qu’il sera possible d’acquérir un fût, de sélectionner l’essence de bois, le finish et le rhum et de suivre ainsi le vieillissement jusqu’à sa mise en bouteille. A l’heure où les tentatives de vieillissement maison se multiplient, il s’agit là d’une offre clé en main qu’il nous tarde de voir à l’œuvre.
Toujours dans les projets, on note aussi une sortie intéressante chez WIRD. Il s’agit de rhum au vieillissement 100% tropical sous la marque Georges Stade, du nom du créateur de la distillerie. Long Pond devrait aussi avoir le droit à ses embouteillages.
Si la journée a été riche en dégustations de produit en cours d’élaboration, nous avons profité du retour dans nos régions pour vous proposer un petit line up de dégustation de rhum Plantation bel et bien embouteillé.
Nous parlerons de trois jus issus de la collection de single cask 2020.
Tout d’abord un Jamaïca 2007 finish sauternes, il s’agit d’un blend Long Pond/Clarendon qui nous propose des fruits plus sages et un coté doux et floral. Ensuite vient le coup de cœur du line up avec un Clarendon 2000, 18 ans sous les tropiques en fût de bourbon, 1 an en France en fût de cognac, 1 an en fût de cognac Borderies XO. Du fruit, du fruit et encore du fruit, une belle concentration, de la longueur, un alcool parfaitement intégré, aucune astringence… Une franche réussite et l’un des toutes meilleures expressions de Clarendon de ses dernières années, et ils sont nombreux.
On termine par un petit OVNI, un Guyana 2008 (réservé au château) qui a passé 9 ans et demi sous les tropiques en fût de bourbon, 1 an en France en fût de cognac, et 6 mois en fût de Mezcal Del Maguey. Le nez est étonnamment équilibré, on retrouve de la gourmandise autour de la vanille avec une légère pointe fumée. La bouche est pâtissière, toujours avec de la vanille, des notes fruitées et une influence importante du Mezcal qui en fait un produit détonnant, fumé.
C’est donc ainsi que se termine ce petit tour d’horizon, et nous remercions encore une fois Alexandre Gabriel et son épouse Debbie pour l’accueil qui nous a été fait.