Nous avons profité d’un voyage à Grenoble, où vit l’un de membres de l’équipe, pour visiter le Domaine des Hautes Glaces situé dans le Trièves, un territoire qui se trouve au carrefour des Hautes-Alpes, de la Drôme et de l’Isère. Nous avons fait le tour du domaine, de la récente malterie et du chai avec l’un des membres de la distillerie. Nous avons pu aborder avec lui la philosophie du lieu et sa singularité. Nous espérons partager avec vous un peu du plaisir que nous avons pris lors des échanges que nous avons eus sur place. Nous poursuivons avec cet article notre ouverture aux spiritueux français, sous forme d’hommage à leur richesse et à leur diversité.
Avant la visite : le projet
Le choix d’implanter le futur Domaine des Hautes Glaces dans les montagnes du Trièves ne s’est pas fait par hasard. La recherche du futur lieu de construction s’est faite avec un certain nombre de critères. La qualité de l’eau, élément central dans la composition du whisky et la possibilité de récolter des céréales de qualité dans l’environnement proche ont guidé la recherche. L’homme à l’origine du projet est ingénieur agronome : Frédéric Revol. Conscient des dérives de l’agriculture intensive et de son impact sur les sols et sur les hommes, il voulait créer une distillerie qui s’intégrerait à son environnement en l’impactant le moins possible. C’est une démarche agro-écologique complète qui donnera naissance à la première ferme-distillerie bio au monde.
L’eau est issue d’une source locale et la distillerie est construite sur une nappe phréatique, dans laquelle elle peut puiser une eau d’une grande pureté. Les céréales sont récoltées dans les environs par des agriculteurs qui travaillent en partenariat avec la distillerie. Ensemble, ils ont réintroduit des variétés de semences anciennes qui peuvent s’auto-reproduire. Exit donc les céréales OGM distribuées par les grands groupes céréaliers ! On cherche ici à préserver son outil de travail et la terre dans laquelle les céréales poussent.
L’idée du circuit court a guidé le projet de bout en bout. La construction récente de la malterie est une nouvelle étape dans cette direction puisque la distillerie devient autonome pour le maltage de ses grains alors qu’il lui fallait jusqu’à présent envoyer toutes les céréales récoltées sur place dans une malterie extérieure.
Les Céréales, la Terre
Comme la canne est la base du rhum, l’orge est considérée comme la base du whisky. Pourquoi l’orge ? Parce qu’il pousse en Ecosse, berceau du whisky. Et si l’on produisait du whisky ailleurs, sur d’autres terres, pourquoi ne pas utiliser des variétés de céréales qui poussent sur le lieu de production ? On pense au Domaine à l’orge, mais aussi au seigle, l’épeautre ou d’autres variétés qui poussent naturellement sur ce plateau entre les falaises du Vercors et les sommets des Ecrins. L’idée est de chercher le goût de la céréale et c’est là le principal critère de sélection. Frédéric Revol a pour projet de replacer la grain au cœur du processus créatif. Il souhaite partir de la terre pour aller à la bouteille. D’ailleurs, la distillerie travaille sur des céréales anciennes, depuis longtemps reléguées au bout du banc par les tenants de l’agriculture intensive. Nous avons apprécié la pépinière installée à l’entrée pour tester d’anciennes variétés.
Les céréales sont récoltées autour de la distillerie par des agriculteurs qui travaillent sans pesticide. C’est un véritable partenariat avec les agriculteurs qui exploitent entre 150 et 160 hectares dans les 20 km autour du domaine des Hautes Glaces pour produire les céréales avec lesquelles on produira les whiskys. Les terres produiront des céréales, mais aussi d’autres cultures pour entretenir la richesse des sols.
L’idée de terroir retrouve ici tout son sens, on peut produire du whisky parcellaire ou exploiter une même variété sur deux sols différents, ou encore à deux expositions différentes. Comme la chaine est totalement maitrisée, on peut par exemple ne jouer que sur un ou deux critères pour produire des whiskys quasi jumeaux qui mettront en valeur leurs différences.
Le Moût, l’Eau
Les céréales sont brassées dans une eau d’une grande pureté, issue de la nappe phréatique sur laquelle la distillerie a été construite. Elles passent d’abord à la malterie, qui était sur le point d’ouvrir lors de notre passage en février 2024, mais dont nous garderons un excellent souvenir. Le maltage est une étape importante, qui consiste à faire germer les céréales, ce qui a pour conséquence d’augmenter sensiblement leur taux de sucre et permettra donc aux levures de produire une plus grande quantité d’alcool. Ensuite, on sèche les grains afin de stopper leur germination. Enfin, on concasse les grains et on les fait infuser dans l’eau, entre 24 et 36 heures.
Les levures sont indigènes et sont récoltées, elles aussi, sur les céréales des champs aux alentours. Elles sont ensuite travaillées et reproduites en laboratoire. On arrive ainsi à une quantité suffisante. Ces levures locales, plus résistantes que les levures industrielles, vont permettre des fermentations plus longues et à des températures moins élevées. La fermentation des whiskys intemporels de la distillerie atteindra par exemple 140h, mais on peut pratiquer des fermentations de 150, voir 160h en cuves thermo-régulées.
Le contrôle des levures et leur récolte sur les céréales, qui s’inspire des méthodes de la production vinicole, renforcent la notion de terroir que nous avons abordée plus haut.
Le cycle des eaux, chaudes et froides, est contrôlé en fonction des besoins. L’eau est par ailleurs réutilisée pour refroidir le produit de la distillation, ou pour réchauffer le moût pendant la longue fermentation.
La Distillerie, le Feu
En fin de fermentation, le mout compte entre 6 et 8% d’alcool. Ce mout sera distillé une première fois dans l’un des quatre alambics à 2500 litres de la distillerie, pour obtenir 1750 litres d’un liquide tirant entre 20 et 30%. On ne distillera une seconde fois que le cœur de la chauffe, coupant ainsi les têtes et les queues de distillat (et leur lot d’impuretés) pour obtenir 250 litres de liquide tirant à 70%. Les alambics sont chauffés au bois, issu lui aussi des forêts environnantes. Pour les amateurs de technologie, notez que les alambics sont capables de gérer leur besoin en bois en fonction de la température souhaitée.
Les alambics, au nombre de quatre, ne sont pas identiques. La taille des cuves et des chapiteaux diffèrent et produira donc un liquide aux propriété gustatives différentes. La volonté de maitrise du processus trouve aussi un écho ici puisque l’un d’entre eux a été conçu par le fondateur de la distillerie. On dit que chaque coup de marteau porté sur le métal dans le façonnage du chapiteau modifiera à jamais les propriétés du whisky produit. Sans confirmer cette jolie image, il y a des différences notables entre les alambics, l’un d’entre eux produisant un whisky plus léger et floral, tandis que celui dessiné par Frédéric Revol a un profil plus charnu et fruité. On peut se rendre compte des différences puisqu’on maitrise encore une fois chacune des autres étapes de production, la seule variation entre deux distillats sera l’alambic utilisé.
Aux alambics de 2500 litres s’ajoute un petit alambic de 700 litres utilisé seulement pour les secondes distillations. Cet alambic est surnommé petite Bertha. La distillation est le point de consommation le plus important de la distillerie mais tout a été fait pour réduire le gaspillage de l’énergie. Le bois, et son caractère renouvelable, contrairement à une énergie fossile, s’inscrit lui aussi dans la démarche agro-écologique.
L’élevage, le Bois
Le cycle court qui a guidé toutes les étapes de la conception du whisky va se retrouver dans le choix des fûts sélectionnés pour le vieillissement dans le chai. On privilégiera les fûts ex cognac, ou les fûts ex vins blancs. Des fûts locaux ou à minima français. La volonté de maitrise totale du processus de fabrication a poussé le domaine à choisir des fûts neufs, afin de bénéficier de fûts roux qui n’auront contenu que leurs jus. L’ultime étape de la fabrication du whisky deviendra comme les autres un processus entièrement local. Les fûts sont entreposés dans un espace qui reste toute l’année à une température d’environ 9°, avec une part des anges de 3 à 3,5% par an. Le whisky est surveillé et si le bois vient à trop le marquer, il sera transféré dans des jarres qui donneront une respiration semblable au whisky, mais le minéral, plus neutre que le bois, ne marquera plus le whisky. Nous vous recommandons particulièrement d’aller admirer ces jarres, qui ont libéré tout le potentiel créatif de nos amis des Hautes Glaces.
L’Environnement, l’Air
Au-delà des éléments que nous avons pu voir au cours du processus de fabrication, la démarche du domaine est profondément durable et locale. Ainsi les drèches produites lors de l’infusion de céréales maltées sont réutilisées par les agriculteurs partenaires pour fertiliser leurs sols. Tout le processus de lavage des différents éléments se fait à l’eau claire, qui pourra ensuite être réutilisée pour l’irrigation des sols. Les levures encore présentes dans l’eau de rinçage contribueront elles à la fertilisation des sols.
L’idée même de s’inscrire dans une région sans vouloir en bouleverser l’écosystème passe également par une limitation volontaire de la croissance. Les agriculteurs sont soutenus par ce projet, mais aucun ne produit exclusivement des céréales pour la distillerie. C’est un soutien et une collaboration, mais pas une relation de dépendance. La fameuse bouteille du domaine des Hautes Glaces, dont le fond représente une des chaines de montagne locale, est produite à partir d’un verre destiné au rebus. Le verre produit entre le verre blanc et le verre vert dans les verreries est en général détruit. Mais il n’y a pas que la matière qui a été pensée ; les quantités ont été réduites, passant d’une bouteille de 70cl à 50 cl. La production n’est pas infinie, le nombre de bouteille est limité. Le domaine n’a pas volonté de croitre indéfiniment, et la recherche sera toujours celle de l’équilibre.
La dégustation sur place
Nous avons pu déguster sur place quatre whiskys, mais comme toujours nous ne faisons pas de note en salon ou lors de dégustations rapides. Un joli contraste est tout de même à noter, avec des profils différents au sein de la gamme.
Le potentiel de la distillerie, et la démarche, sont emballants. Et pour des adeptes du terroir comme nous, la maitrise de chacune des étapes du processus et la transparence de la communication sur ces sujets est assez bluffante. On imagine déjà des comparaisons entre un whisky issu de mêmes céréales mais avec des levures différentes, de fûts différents ou de parcelles différentes. Ou bien, à l’inverse, un whisky de seigle, d’orge ou d’épeautre avec le même ensoleillement, la même distillation et les mêmes types de fûts utilisés pour le vieillissement.
Le whisky blanc (petit coup de cœur du dernier whisky live) – distillé trois fois – nous rappelle le rhum blanc agricole, quintessence du terroir dans le monde du rhum. On est plus dans une eau de vie de céréales que dans un whisky, au sens de ce que l’imaginaire collectif entend.
Que de promesses et de belles découvertes à venir !
Nous suivrons l’actualité de cette distillerie avec grand intérêt.
Merci à Frederic Revol, qui a pris le temps de répondre à nos questions en marge de cette visite assez complète. Si le sujet vous intéresse n’hésitez pas à visiter le domaine de hautes glaces ou leur site web qui est très bien documenté.
La dégustation du B15C23●
Degré : 53 %
Intégration de l’alcool : Parfaite
Distillation : Pot Still
Nombre de cols : 487
Matière première : orge bio local
Millésime : 2016 – 7 ans
Vieillissement : Alpes – ex-fût roux DHG
Particularité : bouteille jumelle de la B15C23▲
Nez chaud qui s’ouvre sur un temps très épicé. La suite ? Des céréales au chocolat, des fruits secs (raisins et abricots) et léger boisé pour structurer le tout.
La bouche est gourmande, ample, sur les épices (cannelle, anis). La milieu de bouche propose une petite sensation tourbée et un boisé toujours léger.
Enfin, la finale reste dans la logique de la dégustation, autour du chocolat noir et des épices, véritables stars de la dégustation.
Un très beau spiritueux, ample, gourmand et au juste degré. Nous ne noterons pas ce spiritueux formellement, mais il serait autour des 87 points.