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Sur Préférence Rhum nous avons longtemps été presque exclusivement attirés par les rhums agricoles, mais notre consommation a évolué au fil du temps et des découvertes. Les rhums de mélasse, essentiellement ceux issus des anciennes colonies britanniques, occupent désormais une place de choix dans nos caves. Ces rhums dit « de tradition britannique », ou rums, regroupent un large éventail de styles très différents, provenant de cultures et de traditions propres à chaque territoire. Des rhums gourmands et soyeux de la Barbade aux rhums lourds, chargés d’esters, de la Jamaïque, en passant par les Demerara du Guyana ou les rhums mythiques de Trinidad et Tobago, il y a plus qu’un grand pas, parfois un grand écart. Alors que le rhum agricole (et ses normes) est assez uniformisé, la bannière rum de tradition britannique apparaît extrêmement réductrice et c’est en voyageant vers les différentes traditions que nous pourrons saisir toute la variété de ces rhums. Nous commençons donc ce parcours avec la Jamaïque.

La Jamaïque, terre d’esters

Les rhums jamaïcains font actuellement partie des rhums les plus recherchés. Ce sont eux qui s’arrachent sur les sites de vente, et de revente, avec Hampden en tête de file. La distillerie s’offre d’ailleurs une seconde jeunesse sous l’impulsion de Luca Gargano. Nous évoquerons également Long Pond, Clarendon (Monymusk) et Worthy Park ! Mais nous n’évoquerons pas la plus connue des distilleries Jamaïquaine, et la plus ancienne (puisqu’elle date du milieu du XVIIIème siècle). Celle qui produit peu de rhums lourds à destination des geeks que nous sommes… Vous l’avez deviné, il s’agit d’Appleton Estate, dont la large gamme est dispo en grande surface, et dont la Heart Collection tenter de changer l’image. Nous en parlerons peut-être plus tard !

Pendant longtemps le rhum jamaïcain a été l’apanage des embouteilleurs indépendants britanniques. Il était acheté en vrac et vieillissait sur le continent européen. Mais les temps changent et des distilleries comme Hampden ou Worthy Park proposent désormais leurs propres embouteillages qui sont souvent vieillis intégralement sous les tropiques. Il en est de même pour de nombreux embouteilleurs qui proposent des vieillissements tropicaux ou des doubles vieillissements.

Nous nous sommes appuyés, entre autres, sur les travaux de Durhum, de Nico de Cœur de Chauffe ainsi que du site anglophone Cocktail Wonk de Matt Pietrek pour ce sujet : merci pour vos travaux. Merci également à Thibault Goleret pour son aide sur les esters.

Un peu de vocabulaire

Le rhum Jamaïcain dispose d’un jargon qui lui est propre et qu’il convient de maitriser pour bien en saisir toutes les particularités.
Rappelons juste, en préambule, que la marque de fabrique des rhums jamaïcains se situe au niveau du temps de fermentation, qui est bien plus long qu’ailleurs. C’est cette fermentation particulière qui est la base de la typicité des rhums de l’île. Il conviendra ensuite, pour aller plus loin, de pouvoir différencier les différentes méthodes !

  • Les esters :

« Corps résultants de l’action d’un acide sur un alcool ou un phénol avec élimination d’eau » le petit Robert.
Les esters ne sont pas propres au rhum jamaïcain :  il s’agit, pour simplifier, de l’ensemble des molécules non alcoolique présentes dans le rhum. Elles sont, en partie, responsable des arômes, et se développent principalement lors de la fermentation, mais aussi à la distillation et lors du vieillissement. Les rhums jamaïcains sont ceux qui ont la concentration d’esters la plus importante. D’ailleurs, les distilleries proposent une classification des jus en fonction de la quantité de substance volatile/HALP (hectolitre d’alcool pur).
Pour mieux appréhender le processus, il faut comprendre que, pendant la fermentation, les levures se nourrissent de sucre et créent de l’alcool. Dans le moût en fermentation (qui va donner le vin de canne, qui sera distillé), les levures « luttent » contre des bactéries, leur procurant du stress. A cause de ce stress, elles vont lier des acides à l’alcool qu’elles produisent et cette association va créer les fameux esters.
Il faut savoir qu’une bouteille de rhum peut contenir une centaine d’esters différents. On mesure généralement le niveau d’esters avec le niveau d’acétate d’éthyle (un ester parmi d’autres) car il représente la plus grosse proportion des congénères. C’est lui qui va donner ces arômes typiques de solvant/vernis à ongle. D’autres, comme l’acétate d’amyle et l’acétate d’isoamyle vous rappelleront la banane. Pour la petite histoire, on retrouve ce dernier dans l’industrie agro-alimentaire, et il est aussi responsable de la fameuse odeur de banane de certains vins primeurs comme le beaujolais nouveau. Si vous voulez en savoir plus, c’est par ici.

  • Les marks

Les rhums jamaïcains sont classés en fonction de leur concentration en esters, des plus légers aux plus lourds : Commons Cleans, Plummer, Wedderburns, Continental flavoured. A l’intérieur de cette classification, chaque distillerie propose sa propre catégorisation : les fameuses marks qui vont nous permettre, au travers d’acronymes propres à l’histoire de chaque maison, de situer l’intensité aromatique du rhum. Certaines marks sont devenues, en quelques années, de véritables « stars ». On pense ici aux marks <H> ou HGML d’Hampden ou TECA de Long Pond.
Pour plus de clarté nous avons créé ce petit tableau, qui n’est pas exhaustif, mais qui permet, en un coup d’œil, de voir où se situe votre bouteille. Attention, les distilleries n’ont pas toutes les mêmes bornes :

  • Le dunder

Le dunder est la vinasse, c’est-à-dire ce qu’il reste dans les alambics à l’issue d’une distillation. Pour faire simple, c’est un résidu de distillation que les distilleries utilisent parfois comme engrais pour les champs de canne, ou qu’elles jettent. Certaines distilleries comme Hampden ou Long Pond la conservent dans des cuves pour l’ajouter à la fermentation suivante. Cette méthode est utilisée afin de favoriser le développement des arômes.

  • Le muck

Le muck est une mixture, conservée année après année, qui sert à booster les high-esters en arômes. Elle est issue des éléments les plus lourds récupérés au fond des cuves de fermentation. On gardera cette « mixture », pendant des années, dans des bacs ou des cuves, parfois à ciel ouvert. On peut y ajouter des fruits, pour booster encore la production de bactéries (mais pas de carcasse de chat ou de canard, comme on le soupçonne parfois). C’est, en quelques sortes, l’accélérateur de particules ultime, qui sera utilisé pour les rhums les plus chargés en esters.

Petit tour non exhaustif des principales distilleries

A la différence de la Martinique, où l’AOC va entraîner une certaine homogénéité des profils, les différentes distilleries jamaïcaines vont nous proposer des profils extrêmement variés. Chacune a une identité forte. Petit tour d’horizon des différentes maisons en forme de carte d’identité.

Hampden

Fondée en 1753, la distillerie de Trewlany a longtemps produit du rhum uniquement à destination des brokers européens, en particulier à destination de l’Angleterre et de l’Écosse. Il faudra attendre 265 ans (2018 donc) pour qu’Hampden propose son premier embouteillage. Celui-ci est construit autour de 5 principes : l’utilisation d’eau de source locale, une distillation uniquement en pot still, une fermentation longue et naturelle, un vieillissement tropical et, bien sûr, sans sucre ajouté. Grace à ses rhums à sa typicité unique mais aussi à un marketing efficace Hampden a su s’imposer comme le fer de lance du renouveau du rhum jamaïcain. La distillerie occupe à la fois le haut de gamme avec des single cask très recherchés, mais elle peut aussi proposer de gros volumes sur des embouteillages officiels.

  • LA bouteille : Hampden H 2010 Warren Kong pour les 70 ans de Velier. Devenu une licorne pour les amateurs du genre, cet embouteillage nous propose la quintessence de ce qu’offre Hampden : de la concentration aromatique, de la puissance, le tout dans un équilibre remarquable.
  • Les classiques : On peut citer ici la gamme Great House qui se veut une expression classique de la distillerie. Il s’agit d’un blend dont la composition change chaque année, et qui est, en général, assez riche en esters. Si le 2019 est devenu sur le tard un objet de spéculation, les autres sont relativement trouvable autour de 100€. Une nouvelle version est proposée chaque année pour les fêtes. Toujours dans les classiques, pour peu qu’on arrive à mettre la main dessus, la gamme Habitation Velier propos différents marks dont les très fameux HGML 2010 et le tout nouveau DOK 2017. Et comment ne pas parler ici des embouteillages Old Brother et notamment le H 2001 ?
  • Pour découvrir: The Younger fera une belle entrée en matière pour appréhender le profil Hampden, et il est disponible chez tous les bons cavistes à moins de 50€.
  • On évite : la série de single cask « birds ». Évidemment, nous ne les avons pas tous goutés, mais aucun ne nous a semblé indispensable parmi ceux que nous avons goûtés, avec un rapport qualité prix très défavorable sur le second marché.

Long Pond

La distillerie Long Pond, qu’on pourrait considérer comme la sœur de Hampden (elle ne se situe qu’à quelques kilomètres, dans la même province) partage avec sa voisine la même année de naissance mais également sa capacité à produire des rhums high esters parmi les plus lourds du monde. La distillerie a eu une histoire mouvementée, faite de longues périodes d’interruptions de la production. Elle passera sous la houlette du gouvernement jamaïcain à la fin des années 70. Puis, en 2006, elle rejoindra (avec Monymusk) la bannière de National Rum of Jamaica – copropriété de l’Etat jamaïcain, de Demerara Distillers et de WIRD. C’est par le rachat de cette dernière que la maison Ferrand (Plantation) entrera dans le capital.

  • LA bouteille : Long Pond TECA 2005 Habitation Velier. Premier, et longtemps seul, Long Pond sorti dans cette gamme (qui fait la part belle à Worthy Park et surtout Hampden). Un rhum lourd, au profil sauvage, avec un taux d’ester à 1285 gr/hlpa. Un profil complètement détonnant mais d’une grande complexité, ou l’on va retrouver du bois, des solvants, des fruits tropicaux mais aussi des notes de bonbon acidulé. Une claque pour palais averti capable de dompter le monstre.
  • Les classiques : Toujours en partenariat avec Velier, on retiendra ici toute la gamme NRJ et en particulier le Vale Royal d’une part et les 2007 (TECA et TECC) d’autre part. Des rhums encore relativement disponibles en cave ou à un tarif raisonnable sur le second marché. Si le Vale Royal est relativement sage, il n’en est pas de même pour les 2007 qui représentent l’expérience high ester dans toute sa splendeur (à vos risques et périls).
  • Pour découvrir : C’est chez Plantation que nous irons pour découvrir Long Pond, grâce à de nombreux millésimes et single casks, à bon rapport qualité prix. On ajoutera aussi le Cambridge 2010, tout juste sorti dans la gamme NRJ. Il est légèrement réduit à 57%, ce qui le rend un peu plus accessible que ses grands frères. Enfin, sa sortie à 4900 bouteilles devrait le rendre relativement trouvable.
  • On évite : Seul embouteillage officiel, le Long Pond 15 ans ITP ne nous a pas convaincu, pour un prix particulièrement élevé.

Monymusk / Clarendon

On retrouvera ces deux noms sur les étiquettes, qui désignent une seule distillerie située dans le sud de l’ile. Créée au milieu du 18eme siècle, la distillerie a elle aussi connu une histoire chargée, avec de nombreux changements de propriétaires. La distillerie a elle aussi connu une histoire chargée, avec pas moins de cinq propriétaires différents dans la première moitié du 20ème siècle. Ensuite, l’État jamaïcain en acquiert la propriété. Comme pour Long Pond, la distillerie intègrera la National Rum of Jamaica. Monymusk peut produire des rhums high ester, mais on retrouvera généralement un profil plus accessible, plus fruité, et moins porté sur les solvants que Long Pond ou Hampden.

  • LA bouteille : Monymusk 1997 EMB Guiseppe Begnoni. Un Monymusk de caractère qui ravira ceux qui les trouvent ennuyeux. De gros fruits tropicaux, une belle complexité et un alcool parfaitement intégré.
  • Les classiques : Difficile de ressortir un classique chez Monymusk. On en trouve énormément chez tous les embouteilleurs indépendants. Le point fort chez Monymusk est l’homogénéité de la gamme, même si on ne prend jamais de grosse claque. Chez Old Brothers on trouvera un des rares Monymusk high ester en vieillissement tropical avec le MLC 2001.
  • Pour découvrir: Là encore c’est chez Plantation qu’il faut se tourner, avec des embouteillages avec un bon rapport qualité prix. On pense au Plantation Jamaica 2003 (qui vient d’être remplacé par un 2007) dans la gamme Under the sea : pour moins de 80€ vous avez ici une parfaite expression de Clarendon avec un long vieillissement tropical (13 ans) et une maturation en fût de cognac dans les chais de la maison Ferrand (2 ans). Imbattable.
  • On évite : Le co-embouteillage Velier / Scherr : si l’idée de départ (comparer des vieillissements continentaux et tropicaux) était intéressante, la série nous propose 4 rhums plutôt décevants, dans un format inadapté, selon nous. De manière général, on évitera de casser sa tirelire chez Monymusk.

Worthy Park

Située au cœur de la Jamaïque, dans la vallée de Lluidas, Worthy Park, fondée à la fin du 17ème siècle, est la plus ancienne des distilleries de l’île. Elle fût acquise en 1918 par Frederick L Clark et appartient toujours à la même famille qui, malgré la longue histoire de la distillerie, n’en est que le 3ème propriétaire. La distillerie cessa de produire en 1950, suite au Commonwealth Sugar Agreement mis en place pour réguler la production de sucre. La distillation et la mise en vieillissement reprendront en 2005. Cette année est donc le plus vieux millésime disponible. Les rhums Worthy Park sont plutôt légers sur l’échelle des rhums jamaïcains, avec un nez sur la banane reconnaissable entre mille.

  • LA bouteille : Pas une Licorne ici mais la bouteille qui marque la renaissance de la distillerie avec le Forthys 2005 chez Habitation Velier (Worthy Park rechigne à laisser les IB afficher le nom de la distillerie, seul le 2007 chez Habitation Velier aura cet honneur). Un jus de qualité, dont le nez assez exceptionnel sur la typique banane Worthy Park nous aura conquis. Une bouche où l’acidité est un peu trop présente. Une référence plus symbolique que réellement exceptionnelle. Plus récemment, et toujours sur un 2005, le single cask de LMDW nous a fait forte impression.
  • Les classiques : Le 12 ans 2006 dans la gamme d’embouteillage officiel est un merveilleux rhum qui saura vous présenter la typicité des rhums Worthy Park. Une vraie bombe, passée sous les radars. La référence a fait son retour sur les étagères des cavistes suite au changement de distributeur, avec un prix légèrement revu à la baisse. On notera aussi dans cette catégorie les différents blancs sortis chez Habitation Vélier dont un embouteillage à 76% qui a fait tourner quelques têtes au Rhumfest 2018.
  • Pour découvrir : Les derniers Papalin de chez Velier pourraient faire une belle porte d’entrée (ils sont composés à 80% de WP) avec un super rapport qualité/prix… Pour peu qu’on arrive à mettre la main dessus. Sinon le Worthy Park Estate entrée de gamme fait le job à moins de 50€ !
  • On évite : Là encore, pas de référence précise. On évitera simplement de mettre des sommes folles car Worthy Park propose des tarifs plutôt raisonnables et est, pour l’instant, à l’écart de la spéculation qui sévit dans le rhum.

 Appleton Estate

Pour conclure ce tour des distilleries, un petit mot sur Appleton Estate. Même si elle est la plus connue des distilleries jamaïcaines pour le grand public, elle reste au second plan dès que l’on se passionne un peu plus sur le rhum. La cause ? Des embouteillages souvent très réduits et peu intéressants. Très présente en grande surface, ou dans les duty free, certaines références (comme le 21 ans ou le blend signature) peuvent être une alternative aux rhums sucrés sur la carte d’un bar ou d’un restaurant. Pour autant, on notera des embouteillages 100% pot still, sortis avec Velier, qui nous auront particulièrement plu. A noter, un coup de cœur pour les millésimes 1994 et 1995.

Conclusion

Nous espérons que ce petit tour d’horizon des rhums jamaïcains vous a permis d’y voir plus clair ! Il y aurait encore énormément à dire, mais nous avons voulu rester lisible pour le plus grand nombre.
Enfin, si vous n’arrivez pas à choisir entre toutes les belles distilleries présentées ici, vous pourrez toujours choisir le LPCH de Old Brothers ! Il s’agit d’un blend de Long Pond-Clarendon et Hampden. Parfait pour découvrir l’île en somme.

2 Comments

  • Kiki dit :

    Salut salut !
    Excellent article, j’adore ces histoires de chimistes et toute l’histoire plus généralement autour du rhum 🙂 Juste une remarque pour le tableau de marks :
    le long pond st♥c, serait ce pas plutot stc♥e ?

    Et toujours sur le même mark, comment expliquer que le dernier embouteillage HV affiche un taux d’esters à 497,6gr < [550,700]

    Top top continuez comme ca !

    • Pierre Thiar dit :

      Salut, merci pour ton retour, effectivement il y a une petite coquille sur l’affichage du Mark STC❤️E. Quand au tableau je vais vérifier ça, mais quand on l’a monté il y a déjà quelques années ( a la base c’était un truc perso pour s’y retrouver dans nos achats) on a fait le choix de sacrifier un peu de précisions pour avoir une lecture plus simple du tableau qui a surtout vocation a retrouvé une hiérarchie.

      Parfois il y a aussi une différence entre le taux a la distillation et celui à l’embouteillage qui peut faire un écart.

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