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De nombreuses régions productrices de rhums ont leurs spécificités et leurs caractéristiques propres, comme nous avons pu le voir avec l’article qui traite des rhums jamaïcains. La suite de ces découvertes passera par la Réunion.
Le projet initial était d’évoquer tous les rhums de l’océan Indien, mais un tel article aurait épuisé auteur et lecteurs… Place donc aux rhums réunionnais dont le plus connu n’est pas le plus représentatif !

Avant de nous plonger dans l’histoire de l’île nous tenons à remercier Émilie Marty de la Réunion des rhums et le site du musée « la Saga du rhum » qui ont grandement facilité nos recherches pour la rédaction de cet article.

Histoire du rhum réunionnais

Avant la première guerre mondiale

Premier fait amusant, la canne, qui a probablement été importée de Madagascar, est déjà présente sur l’ile en 1663… Alors qu’elle reste encore à peupler !
Mais l’île, auparavant nommée Bourbon (en hommage à la dynastie des rois de France qui règne à l’époque de la colonisation) a initialement été « dédiée » quasiment exclusivement à la culture du café. C’est à la perte des deux principales sources de sucre de la France (Haïti en 1803 et Maurice 1814) que la culture de la canne à sucre va se développer de manière exponentielle sur l’île. D’ailleurs, la production passera de 21 à 72 000 tonnes entre 1815 et 1861. La production de rhum augmentera, fort logiquement, d’autant, car tout le jus de la canne est alors dédié à la production de sucre. La première distillerie moderne a été créée en 1815 pour utiliser les résidus incristallisables des sucreries – c’est l’origine du « rhum de sucrerie » : le rhum est exclusivement fait à partir de mélasse.

La ferme des guildives (de l’anglais Kill Devil, notre Tue-Diable) sera créée dès 1818 pour gérer la production et l’exportation des rhums. Mais son système restrictif, pour les producteurs, génèrera beaucoup de fraude, les fameux « circuits marrons ». De 1831 à 1846, le contrôle de la production de rhum sera confié à la Société des Guildives, qui ne pourra pas d’avantage enrayer la fraude. Il faudra attendre la fin du siècle pour observer une progression de la qualité et, par extension, de l’augmentation des exportations de rhum. Elles connaitront un gros pic après 1914-1918, avec une réquisition de tout le rhum réunionnais pour les soldats.

Après 1918

La part de terre cultivable dédiée à la canne est conséquente et il y a de nombreuses distilleries : les coûts sont réduits et les rhums de la Réunion inondent le marché métropolitain à l’issue de la première guerre mondiale. Cela ne plait guère aux producteurs d’alcool de métropole qui arriveront à faire imposer un contingentement (toujours en vigueur) pour les rhums d’outre-mer. Une période difficile commence pour les Réunionnais, qui, faute de pouvoir écouler leurs produits, voient la fermeture d’une bonne partie des distilleries. D’autre part, des terres auparavant dédiées à la canne à sucre vont être transformées en terre arable pour la nourriture. Les restructurations de l’industrie sucrière se poursuivront et impacteront l’industrie du rhum. La dernière en date est le démantèlement entre 2010 et 2012 du groupe Quartier français, qui possédait les deux principales sucreries de l’île (Gol et Bois-Rouge). Mais aussi les distilleries Rivière du mât et Savanna ainsi que des parts dans le GIE sur le rhum Charrette. C’est le géant du sucre Tereos qui a racheté la partie sucre, mais il n’a pas conservé la partie spiritueux. C’est un groupe que nous connaissons mieux, la Martiniquaise, qui s’en est porté acquéreur, avant que l’autorité de la concurrence n’exige qu’il se déleste d’une partie de ses actifs. La Martiniquaise gardera sous son giron Rivière du Mat et abandonnera ses parts dans le GIE du rhum Charrette et de la distillerie Savanna.

Les spécificités du rhum réunionnais

Depuis janvier 2015, une IG (indication géographique) protège les appellations « Rhum de la Réunion », « Rhum Réunion » « Rhum de Réunion » et « Rhum de l’ile de la Réunion ». Cette IG a été validée par les instances européennes en 2019 et publiée fin 2021 au Journal Officiel.
C’est dans cette IG que les critères, pour se revendiquer de la Réunion, sont référencés. Le premier d’entre eux concerne l’origine de la canne, qui doit avoir poussé sur le sol réunionnais.
Nous l’avons déjà expliqué, la Réunion faisait surtout des rhums à base de mélasse. Le rhum agricole a été interdit pendant un temps car on considérait qu’il était nocif et entrainait le désordre, alors que celui produit à partir de mélasse était de meilleure qualité. L’État avait même légiféré à propos de cette distinction entre le rhum de vesou et de mélasse, entre le bon et le mauvais rhum (amis chasseurs…) ! Il s’agissait surtout, au moment de cette distinction, d’éviter les productions artisanales de rhums de pur jus, afin de laisser la production de rhum aux grands producteurs de sucre.

Trois appellations de rhums sont définies dans l’IG : « Le rhum blanc », « le rhum vieux » et le rhum dit « Grand Arôme ». Et oui, il n’y a pas que la Jamaïque qui produit des rhums High Esters ! Mais nous avons déjà évoqué les spécificités de ces rhums, dont la version réunionnaise est assez proche des rhums jamaïcains. Nous vous renvoyons d’ailleurs à notre guide des rhums jamaïcains pour en savoir plus sur ces rhums particuliers et sur les fameux esters.

Les arrangés

Mais il n’y a (clairement) pas que les Grands Arômes à la Réunion… En effet, les premières traces de rhums dits « arrangés » viennent de l’île. On pense que c’est la population indienne de Madagascar qui a apporté avec elle cette tradition lors de son installation sur l’ile. Les Malgaches consomment en effet le Betsabetsa, un vin de canne fermenté avec des épices, des feuilles et des écorces. A l’origine, et comme souvent, le mélange d’herbes, d’épices de fruits et de rhums était utilisé à des fins médicinales avant de se généraliser pour des raisons gustatives. Mais certaines sources indiquent qu’il s’agirait plutôt d’une tradition de marins qui chargeaient leurs rhums d’épices ou de fruits pour en adoucir le goût (ce qui était peut-être salutaire vu la qualité de l’alcool produit à l’époque). Quoi qu’il en soit, cette tradition est aussi indissociable de la culture de l’ile que le ti punch l’est des Antilles. Nombre de voyageurs reviennent de l’ile avec leur bouteille de Charrette garnie de petits morceaux d’ananas Victoria, de litchis, ou de mangue José… sans oublier la gousse de vanille Bourbon !

Si, comme nous avons pu le voir, la production de rhum est très ancienne à la Réunion, son exportation a longtemps été faite en vrac. Comme en Jamaïque, les principales distilleries n’embouteillent et ne distribuent leurs rhums sous leur nom que depuis peu. Cela n’empêche pas le secteur d’être extrêmement dynamique, comme nous allons le voir en faisant le tour des principales distilleries de l’ile.

Les distilleries de la Réunion

Isautier

La plus ancienne des distilleries de la Réunion encore en activité ! Elle a été créée à Saint Pierre en 1845 par Louis et Charles Isautier, deux frères qui ont débarqué sur l’ile quelques années plus tôt. Louis et Charles épouseront deux cousines d’une famille déjà implantée sur l’ile, Apollonie et Antoinette, dont le cœur d’activité est le sucre et ses dérivés, dont le rhum. A la mort des deux frères, c’est Antoinette, la veuve de Charles, qui reprendra la gestion de la distillerie en 1865, avec ses trois fils (l’entreprise prendra d’ailleurs le nom de « Veuve Isautier et fils »). Antoinette, une femme d’affaires, fera beaucoup pour la notoriété de la distillerie en inscrivant le nom de la distillerie sur les bouteilles, chose rare à l’époque, et en présentant le rhum à différents concours. La marque en remporte quelques-uns à Paris, Anvers et même Moscou en 1891 ! Entre 1881 et 1900 le rhum Isautier gagnera 21 médailles internationales. Antoinette fera beaucoup pour le développement de la marque et pour placer la Réunion sur la carte des rhums du monde.

Nous avons vu qu’après la première guerre mondiale la Réunion a subi de plein fouet le contingentement imposé par les producteurs d’alcool métropolitain, et Isautier ne fera malheureusement pas exception. La distillerie arrête les exportations et développera de nombreuses activités non liées à la culture de la canne : investissement immobiliers, création d’une gamme alimentaire et même de produits d’entretien. Cette production locale sera mise à mal par la concurrence de la grande distribution qui arrivera sur l’ile dans les années 1970. Dès lors, et à la suite des chocs pétroliers, la distillerie va peu à peu se reconcentrer sur ses produits phares : la canne et le rhum.
A la fin des années 1990 une gamme de rhums arrangés est créée. La distillerie Isautier cherchait à mettre en valeur sa terre d’origine, avec l’utilisation des fruits locaux et des recettes créoles parmi les plus appréciées sur place. La distillerie met en place une gamme d’arrangés bien distincte des spiced rhum.

A l’heure actuelle, même si Isautier possède ses propres champs de canne, la presse se fait à la sucrerie la plus proche. La mélasse vient elle aussi de la sucrerie du Gol. Toutes les autres étapes de la fabrication du rhum se font à la distillerie (fermentation, distillation, vieillissement…). La distillation du rhum agricole et du rhum de mélasse se font dans la même colonne, mais à des moments différents de l’année. La distillerie utilise les même levures pour la fermentation. Pour nos lecteurs les plus avertis, notez que la sortie d’alambic du rhum de sucrerie se fait à 89% – et 70% pour les purs jus. Les rhums destinés au vieillissement sont enfûtés au degré de sortie d’alambic. Le premier fût utilisé sera toujours un fût neuf, mais ce passage ne s’éternisera pas plus de quelques mois, pour ne pas trop marquer le rhum. La suite se fera en fût déjà utilisé, mais toujours en chêne français, ex cognac ou ex Rhum Isautier (les ex fûts neufs évoqués juste avant). La réduction s’effectuera avec de l’eau de rivière filtrée, et se fera sur un temps long (jusqu’à 6 mois).

Nous vous renvoyons à notre dégustation de fin 2022 pour en savoir plus sur les belles nouveautés de la maison ! Et il se murmure que des nouvelles sorties sont prévues dans cette gamme pour le prochain Whisky Live…

Savanna

Savanna n’est paradoxalement ni la plus ancienne, ni celle qui a la plus grosse production, mais c’est probablement la plus connue des distilleries réunionnaises dans le milieu des rhums de dégustation. Elle doit sa notoriété a une association réussie avec son ancien distributeur, qui a su lui faire rencontrer son public (avec des séries limitées très prisées). Sa renommée est dû également à des choix forts en termes de production. Savanna est en effet la seule distillerie à produire des rhums Grands Arômes sur l’île. Cette touche originale n’est clairement pas anodine dans sa notoriété récente. Savanna produit ce type de rhum depuis la fin du 20ème siècle. En effet, la recette du grand arôme a été développée il y a moins de 30 ans par Thierry Grondin.
La distillerie a longtemps vendu ses rhums en vrac et elle n’a commencé à mettre son nom sur ses bouteilles qu’en 2003 ! Mais nous anticipons ici un peu sur l’histoire de la distillerie qui a commencé longtemps avant cette date.

Avant d’être une distillerie, Savanna est un domaine sucrier créé en 1823. Après une cinquantaine d’année à se développer, à se reconstruire et à inaugurer de nouveaux types de moulins, la distillerie est ouverte dans les années 1870. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’évolution de la distillerie n’est pas un long fleuve tranquille : changements de propriétaires, reconstructions, absorptions et déménagements… A la suite de la fermeture de la sucrerie Savanna en 1986, les cannes du lieu sont absorbées par la sucrerie de Bois Rouge. La distillerie s’y installera quelques années plus tard pour faciliter son approvisionnement en matière première, ne gardant que le nom de Savanna. Le rhum n’a pas bonne presse à l’époque et le directeur d’alors (Laurent Broc) voit l’avenir et la pérennisation de sa distillerie sous un seul angle, celui de la montée en qualité et en gamme. Rappelons qu’à l’époque, la distillerie ne produit que du rhum en vrac, un alcool qui sera utilisé par d’autres pour des mélanges et des cocktails divers. L’idée de faire des Grands Arômes germe à cette époque.

Savanna va renforcer sa position sur le marché local avec des bouteilles qui porteront systématiquement son nom et poussera plus loin les expérimentations avec des assemblages de rhums vieux et grands arômes, différentes finitions, des sorties en single cask, en brut de fût… La distillation peut se faire sous différentes formes : dans une colonne inox, dans une colonne Savalle en cuivre ou en alambic pot still. Les différentes méthodes de distillation sont utilisées pour mettre en valeur les différents profils. La gamme de Savanna est donc très large et son ancien distributeur pour le marché métropolitain (LMDW) a su capter les amateurs de rhums atypiques, Savanna gagnera assez rapidement en notoriété et fera de nombreux aficionados.

La marque a même poussé assez loin l’expérience du Grand Arôme avec le HERR (high ester réunion rhum) qui existe en version blanche et plus ou moins vieillie. Pour en savoir plus sur la distillerie, nous avons déjà sorti quelques notes de rhums Savanna sur le site et nous avons eu la chance de recueillir les propos de Johnny Landais en 2020.

Rivière du Mât

La distillerie a été créée en 1886 à Bras-Panon. C’est, à l’origine, une sucrerie qui possède une distillerie pour consommer la mélasse issue de sa production. Elle déménagera sur son site actuel de St Benoit en 1984, à l’initiative du groupe Quartier Français. Celui-ci voulait rationaliser sa production en fusionnant les distilleries Rivière du Mât, du Gol et de Beaufonds. Cette fusion a donné naissance à un « monstre » qui pouvait consommer 70 % de la mélasse de l’île. Lors de son rachat par La Martiniquaise en 2012, la distillerie était assez vétuste. Le groupe lance alors un gros programme de travaux qui vise à améliorer l’outil industriel, et à diminuer l’impact environnemental de la distillerie. Au niveau industriel, les chais ont été agrandis et rénovés, la distillerie également, et les capacités de stockage de la mélasse grandement augmentées.

Sur le plan environnemental, le but est d’arriver à une indépendance énergétique totale, à réduire et à valoriser des déchets de la distillerie et à réduire l’utilisation des pesticides dans les champs. On parle de la filière « canne-sucre-rhum-énergie ». Dans un monde ou le cours du sucre tend à baisser, si l’on ne peut pas valoriser son origine, ou son terroir, il faut rentabiliser chaque étape de la production. Cette démarche économique est aussi une démarche écologique. La distillerie produit par exemple du « flegme » avec l’excédent de mélasse, un alcool à plus de 94°. Après avoir été exporté, le flegme devait alimenter une centrale électrique au bioéthanol qui aurait produit 40 mégawatts. Mais l’alimentation de la turbine à combustion en flegme a été arrêtée par manque de mélasse. Par ailleurs, la production de méthane à partir des déchets de la canne a permis à la distillerie de baisser sa consommation de fioul. La production d’électricité verte est effective depuis octobre 2022 : environ 2 000 foyers sont alimentés grâce à ce procédé. Si le sujet vous intéresse, nous vous recommandons la lecture du Rumporter de novembre 2019 qui est consacré au développement durable dans le monde du rhum.

La distillerie est la plus importante de la Réunion en termes de volume. Elle peut consommer jusqu’à 70% des réserves de mélasse de l’ile pour produire entre 50 000 et 60 000 hl de rhum par an. On produit du rhum léger (sous les 225g d’éléments non alcooliques) et du rhum traditionnel. Peu de production de rhum agricole chez Rivière du Mât. Paradoxalement, alors qu’il s’agit de la plus grosse exportatrice de rhum de l’ile parmi les trois grandes distilleries, c’est probablement la moins connue auprès des amateurs. Il faut dire qu’une grande partie du rhum est exporté en vrac. A l’heure actuelle, une très faible portion du rhum produit est mise en vieillissement. Nous avons eu la chance de croiser Christian Vergier et Teddy Boyer (respectivement maitre de chai et directeur de la distillerie) sur le stand de Rivière du Mât au salon de l’agriculture et nous avons pu nous entretenir avec eux. Christian Vergier a commencé à travailler chez Rivière du Mât au début des années 2000. Il sera rejoint en 2003 par le nouveau maitre de chai Jean Grondin. Ensemble, ils ont totalement posé les bases du vieillissement chez Rivière du Mât, s’inspirant grandement de leur passage dans l’univers du cognac, apportant avec eux le vieillissement dynamique, et le chêne français, ex cognac. Selon Christian Vergier « utiliser du fût de chêne américain ex-bourbon comme dans les Antilles françaises n’aurait aucun sens à la Réunion. L’éloignement et le profil de rhum recherché l’a naturellement fait choisir les fûts d’ex-cognac en chêne français. La ligne suivie semble assez classique et on sent une volonté d’établir des standards. Comme à Cognac, les assemblages sont importants pour la distillerie. Au salon, nous avons pu goûter la gamme (marquée par une belle fraîcheur et beaucoup d’élégance), ainsi que le millésime 2006 (qui devra être re-gouté dans de bonnes conditions) qui nous a agréablement surpris. On sent une volonté de s’affranchir des clichés français sur le rhum issu de mélasse et de prouver qu’on peut obtenir de la qualité, certains marqueurs et une certaine constance avec la canne issue de la Réunion.

La Part des anges

La distillerie a été créée en 2009 à la Saline, sur le versant ouest de l’ile. La Part des anges n’est pas à proprement parler une distillerie de rhum. Ses propriétaires se sont en effet lancés, dans un premier temps, dans la distillation de fruits. Si les fruits sont sucrés et bénéficient d’un excellent environnement à la Réunion pour se développer, la canne n’est pas en reste et l’équipe a choisi de développer une eau de vie de canne. En 2015 ils vont choisir la canne rose, une variété de canne qui avait été délaissée par les producteurs de sucre du fait de sa fragilité. La canne est certifiée bio depuis 2016. Récoltée de l’autre côté de l’ile, elle est apportée sur place, lavée et brossée avant d’être pressée. Le jus de cannes va fermenter pendant 8 jours avec des levures totalement indigènes. La fermentation est entièrement spontanée. Le vin de canne obtenu passera ensuite dans un alambic de type Muller pour trois passes. Le cœur de chauffe à 85% sera gardé et réduit lentement à l’eau distillée pour atteindre les 45% ou 55%. La distillerie a sorti une version qui a reposé 3 ans en amphore pour le dernier salon de l’agriculture, l’Épopée, et une version à 68% : deux belles réussites. La distillerie est la seule de la Réunion à produire un rhum exclusivement agricole.

Rhum Charrette

En 1972, les plus grands producteurs de rhum réunionnais se regroupent pour former le Groupement d’Intérêt Économique « Rhums Réunion ». Cela donnera naissance au rhum « Charrette », qui tire son nom d’une « charrette bœuf » qui transporte de la canne. Le symbole est visible sur son étiquette. Ce GIE changera de main en 2012 pour tomber sous la tutelle de la société réunionnaise du rhum mais le fonctionnement et la production du rhum Charrette ne changera pas pour autant. Il s’agit d’un rhum d’assemblage à partir des rhums produits par les trois distilleries principales de l’île.

Il s’agit, en volume, du rhum le plus exporté de l’ile (et même le troisième le plus importé en métropole derrière Captain Morgan et Old Nick). C’est une des raisons pour laquelle nous en parlons ici. Le Charrette sert de base à de nombreux rhums arrangés et autres cocktails, sur l’ile ou en métropole. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un rhum de dégustation, ce rhum a beaucoup fait pour placer la Réunion sur la carte mondiale du rhum. Il reste le rhum le plus consommé de l’ile et son format bouteille de 1 litre, à 49%, a même été copié par Isautier et Rivière du mât pour le marché local.  Il est singulier que les marques qui se font concurrence sur le marché local fournissent dans les faits une grande partie de leur production au rhum Charrette.

Conclusion

Comme nous avons pu le voir, la Réunion est une ile riche en histoires autour du rhum. On peut y déguster une grande variété de rhums qui respectent tous l’IGP. En nous plongeant dans la rédaction de cet article nous ne pensions pas nous confronter aux thèmes de la production sucrière et de l’énergie. Si les rhums agricoles distillent directement du jus de canne fraiche et dépendent directement des planteurs, les rhums traditionnels dépendent eux des sucreries pour leur matière première. Vu le poids financier du marché du sucre, et vu les chiffres sur la vente de rhums de dégustation sur l’ile, on comprend très rapidement où penche la balance économique. La mélasse n’étant qu’un sous-produit du sucre, il est impossible de faire évoluer en qualité la matière première sans une réelle volonté des industries du sucre. Aujourd’hui, les deux sucreries de l’ile sont aux mains du groupe Terreos et on comprend le poids de sa politique sur toute l’industrie du rhum de la Réunion. Le choix des cannes est dicté par le rendement en sucre, alors que la production énergétique recommanderait des cannes plus fibreuses qui feraient un meilleur combustible. La filière du sucre est particulièrement en tension et tout changement de type de cannes verrait les sucriers perdre une partie de leur production… sauf à augmenter la taille des surfaces cultivées !
Au contraire du rhum, l’origine géographique du sucre n’apporte aucune plus-value à l’heure actuelle. L’industrie du rhum de sucrerie est donc dépendante des filières du sucre et de la production énergétique, d’autant plus sur une ile où on ne peut importer d’énergie. On voit très bien que la problématique est complexe et qu’il sera difficile pour les différents acteurs de ce marché de trouver le point d’équilibre. Surtout, on se rend bien compte de l’impact des stratégies locales sur le développement, ou pas, des rhums. Et on se rend mieux compte des choix faits en Martinique, surtout, ou en Guadeloupe, avec la mise de côté des autres aspects de la production sucrière.
Nous suivrons avec un grand intérêt le développement de cette belle ile de rhum dans les années à venir. Enfin, nous verrons aussi, qui, parmi les trois grandes distilleries, aura fait le meilleur choix stratégique.

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